Les créateurs OnlyFans, MYM et autres plateformes similaires face à leurs agents : analyse juridique d’une relation en expansion
- Rodolphe Rous
- 11 août
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 août

Le développement fulgurant des plateformes de monétisation de contenus a entraîné l’émergence de nouvelles formes de relations contractuelles entre créateurs et intermédiaires. OnlyFans, lancé à Londres en 2016, s’est imposé comme un acteur majeur de ce secteur, mais il n’est pas seul : en France, MYM (Meet Your Model) connaît un essor considérable, et d’autres plateformes similaires (Fansly, Patreon, Fanvue, etc.) proposent des modèles comparables. Leur fonctionnement repose sur un système d’abonnement et de pourboires, permettant aux créateurs de percevoir directement une rémunération de leurs abonnés. Toutefois, la gestion de ces comptes, lorsqu’ils génèrent des revenus significatifs, s’avère chronophage et requiert des compétences multiples en matière de marketing, de gestion de communauté et de stratégie de contenu. C’est dans ce contexte qu’interviennent les agents et agences spécialisés, qui se présentent comme des partenaires stratégiques capables de maximiser les gains et d’optimiser la visibilité des créateurs.
Cette relation, encore récente, soulève de nombreuses interrogations juridiques. Elle se situe à la croisée du droit civil, du droit du travail, du droit fiscal et du droit de la propriété intellectuelle. Or, faute de cadre légal spécifique, ce sont les principes généraux du Code civil et la jurisprudence relative aux contrats de représentation et de gestion qui trouvent à s’appliquer. L’analyse de cette relation contractuelle permet ainsi de mettre en évidence les risques, les bonnes pratiques et les clauses essentielles qui doivent être intégrées afin de sécuriser les intérêts du créateur comme de l’agent, que le compte soit exploité sur OnlyFans, MYM ou toute autre plateforme analogue.
I. La qualification juridique du contrat entre créateur et agent
Le premier enjeu est de déterminer la nature juridique du contrat qui unit le créateur à l’agent ou l’agence qui l’assiste. Contrairement aux agents artistiques régis par la loi du 16 décembre 1969, les agents intervenant sur des plateformes comme OnlyFans ou MYM ne bénéficient d’aucune reconnaissance statutaire spécifique. Il s’agit le plus souvent d’un contrat de prestation de services au sens de l’article 1101 du Code civil. Le créateur confie à l’agent la mission d’assurer tout ou partie de la gestion de son compte, moyennant rémunération.
La doctrine s’accorde à considérer que ce type de contrat revêt une double nature : mandat et contrat de services. Le mandat se traduit par la capacité donnée à l’agent d’agir au nom et pour le compte du créateur, notamment pour répondre aux messages, gérer les abonnements et organiser la diffusion des contenus. Le contrat de services couvre quant à lui les prestations intellectuelles de conseil, de stratégie marketing et de développement de la visibilité sur d’autres réseaux sociaux. Cette hybridation contractuelle conduit à appliquer à la fois les dispositions relatives au mandat, notamment l’obligation de reddition de comptes prévue par l’article 1993 du Code civil, et celles relatives au contrat de prestation de services, qui imposent une obligation de moyens renforcée.
La qualification choisie a des incidences en matière de responsabilité. Si l’agent agit en qualité de mandataire, il doit exécuter le mandat avec diligence et prudence, et sa responsabilité peut être engagée en cas de faute dans la gestion des intérêts du créateur. Si, en revanche, le contrat est analysé comme une prestation de services, l’agent ne peut être tenu responsable que s’il n’a pas mis en œuvre les moyens attendus pour atteindre les objectifs convenus. Dans tous les cas, l’absence de cadre légal spécifique impose de sécuriser cette relation par des clauses contractuelles détaillées.
II. Les obligations respectives des parties
Les obligations de l’agent sont multiples. Il doit avant tout fournir les prestations convenues, qu’il s’agisse de gestion quotidienne du compte, de création de contenu, de stratégie marketing ou de promotion externe. Cette obligation est généralement qualifiée d’obligation de moyens, sauf stipulation expresse transformant certaines missions en obligation de résultat, par exemple l’atteinte d’un certain nombre de publications hebdomadaires ou la mise en place de campagnes de promotion spécifiques.
L’agent a également un devoir de loyauté et de transparence. Cela implique qu’il rende compte régulièrement de son action, qu’il fournisse au créateur l’ensemble des statistiques et revenus générés par le compte, et qu’il ne conserve aucun bénéfice indû. L’article 1993 du Code civil, applicable au mandat, impose au mandataire de rendre compte de sa gestion, et cette disposition trouve une pertinence particulière dans ce type de relation où les revenus transitent parfois par les comptes de l’agence avant d’être reversés au créateur.
En contrepartie, le créateur a l’obligation de payer la rémunération convenue. Celle-ci prend souvent la forme d’un pourcentage des revenus générés, oscillant généralement entre 30 % et 60 %. Le créateur doit également fournir les contenus de base nécessaires à l’exécution du contrat, sauf si l’agence s’engage elle-même à produire l’intégralité des images et vidéos.
Enfin, il doit respecter les clauses de confidentialité et d’exclusivité, lorsqu’elles existent, et s’abstenir de collaborer avec des agences concurrentes.
III. Les clauses sensibles et les risques de déséquilibre contractuel
L’absence de cadre légal spécifique conduit parfois à la rédaction de contrats déséquilibrés, au détriment du créateur. L’une des clauses les plus problématiques est celle relative à la propriété du compte. Certaines agences prétendent être propriétaires du compte créé sur OnlyFans, MYM ou toute plateforme analogue, considérant que le créateur leur cède ses droits. Une telle clause est juridiquement contestable, le compte étant lié à l’image et à la personnalité du créateur. La jurisprudence sur les comptes de réseaux sociaux (CA Paris, 25 juin 2018, Twitter) confirme que le titulaire est celui qui a créé le compte et dont l’identité est associée au profil.
Autre point délicat, les clauses de durée et de résiliation. Il n’est pas rare de voir des contrats imposant des durées fermes de douze mois avec impossibilité de résiliation anticipée. Ces clauses, assimilables à des engagements de longue durée, peuvent être contestées comme abusives, surtout si elles ne prévoient pas de contrepartie sérieuse. De même, des clauses de non-concurrence interdisant au créateur de collaborer avec d’autres agents pendant une longue période après la fin du contrat peuvent être jugées disproportionnées.
La transparence financière est également un enjeu majeur. Certains contrats prévoient que l’agence collecte la totalité des revenus générés par le compte, puis reverse au créateur une partie, sans contrôle possible de ce dernier. Or, une telle pratique viole l’obligation de reddition de comptes et expose l’agent à des accusations d’abus de confiance. Pour se protéger, le créateur doit toujours exiger un accès direct aux relevés de revenus fournis par la plateforme.
IV. Les litiges fréquents et leurs issues
Les litiges entre créateurs et agents sont nombreux. Le plus fréquent concerne la spoliation de comptes. À la suite d’une rupture, certains agents refusent de restituer les identifiants du compte ou en bloquent l’accès. Dans ce cas, le créateur peut engager une action en référé afin d’obtenir en urgence la restitution des accès, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil et de l’abus de dépendance.
Un autre litige courant concerne la rémunération. Le créateur peut contester les commissions prélevées par l’agence, soit en raison de leur montant jugé excessif, soit en raison d’un manque de transparence dans le calcul. La jurisprudence récente en matière d’influenceurs confirme que les tribunaux exigent des agents une parfaite transparence.
Enfin, certains créateurs tentent d’obtenir la requalification de leur contrat en contrat de travail. Lorsqu’une agence impose des horaires fixes, un reporting quotidien et un contrôle strict de l’activité, les juges peuvent considérer qu’il existe un lien de subordination caractéristique du contrat de travail. Cette requalification expose l’agence à des redressements sociaux et à des sanctions de l’URSSAF pour travail dissimulé.
V. Les enjeux fiscaux et sociaux
Sur le plan fiscal, les revenus perçus par le créateur via OnlyFans, MYM ou une plateforme similaire sont considérés comme des bénéfices non commerciaux (BNC) s’il exerce en nom propre, ou comme des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) si l’activité prend une forme sociétale. En pratique, de nombreux créateurs choisissent le régime de la micro-entreprise afin de simplifier leurs obligations déclaratives. Toutefois, dès lors que les revenus deviennent significatifs, la création d’une EURL ou d’une SASU s’impose pour optimiser la fiscalité et protéger le patrimoine personnel.
L’agent, quant à lui, facture des prestations de services. S’il dépasse les seuils de la franchise en base, il est assujetti à la TVA.
Sur le plan social, le créateur relève du régime des travailleurs indépendants et dépend de l’URSSAF. Il est tenu de déclarer ses revenus et de s’acquitter des cotisations sociales correspondantes. Toutefois, en cas de requalification en contrat de travail, c’est le régime général qui s’applique, avec toutes les conséquences en termes de charges sociales.
VI. Les aspects internationaux et la question du droit applicable
Qu’il s’agisse d’OnlyFans, de MYM ou d’une autre plateforme analogue, le caractère international de ces activités entraîne des complications juridiques. OnlyFans est basé au Royaume-Uni, alors que MYM est une société française. Certains créateurs travaillent avec des agences situées aux États-Unis ou en Europe de l’Est. En principe, le contrat conclu entre un créateur français et une agence étrangère doit préciser la loi applicable et les tribunaux compétents. À défaut, c’est le règlement Rome I de l’Union européenne qui détermine la loi applicable au contrat.
La prudence recommande de prévoir une clause attributive de juridiction désignant les tribunaux français, ainsi qu’une clause de loi applicable stipulant l’application du droit français.
VII. La protection des données et l’utilisation de l’intelligence artificielle
Un aspect récent concerne l’usage de l’intelligence artificielle pour automatiser la gestion des comptes. Certaines agences recourent à des chatbots pour répondre aux messages privés des abonnés. Si cette pratique peut améliorer la productivité, elle pose des problèmes de transparence et de conformité au RGPD. Les abonnés doivent être informés lorsqu’ils interagissent avec une machine et non avec le créateur. De même, l’utilisation d’outils d’IA générant des images ou des vidéos du créateur soulève la question du droit à l’image et de l’intégrité de la personnalité.
Conclusion
La relation contractuelle entre créateurs et agents sur des plateformes comme OnlyFans, MYM ou leurs équivalents est encore en phase de structuration. Faute de cadre légal spécifique, elle doit être sécurisée par des contrats précis, équilibrés et protecteurs. Les litiges fréquents démontrent que l’improvisation est une source de risques majeurs. Un contrat clair, intégrant des clauses de transparence, de reddition de comptes, de propriété du compte et de résiliation, constitue la meilleure garantie de stabilité.
La dimension fiscale et sociale ne doit pas être négligée. La régularité des déclarations, le choix du statut juridique et la séparation nette entre revenus du créateur et commissions de l’agent sont indispensables pour éviter redressements et contentieux. Enfin, les aspects internationaux et technologiques exigent une vigilance accrue, qu’il s’agisse de la loi applicable, de la protection des données ou de l’usage de l’intelligence artificielle.
En définitive, cette relation contractuelle illustre l’évolution du droit face à de nouvelles pratiques économiques issues de la digitalisation des rapports sociaux. Elle impose aux praticiens du droit d’adapter les outils existants afin de sécuriser les parcours de ces nouveaux entrepreneurs du numérique.
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