Qu’est-ce que l’antichrèse ? Histoire, droit positif français (gage immobilier) et pratique contemporaine
- Rodolphe Rous
- 29 sept.
- 13 min de lecture

Il est des notions juridiques qui, à force d’être décrites comme « surannées », finissent par susciter l’oubli plutôt que l’étude. L’antichrèse appartient à cette catégorie. On sait confusément qu’il s’agit d’une sûreté grevant un immeuble, qu’elle suppose la dépossession du constituant et que les fruits – loyers ou récoltes – sont affectés au remboursement de la dette.
On croit aussi – à raison – qu’en France, la pratique lui préfère d’autres outils, plus flexibles, plus industrialisés, mieux arrimés au financement moderne.
Et l’on ignore souvent qu’en droit positif, l’antichrèse n’a pas disparu : elle a changé de nom, s’est vue redessinée par les réformes des sûretés, et vit désormais sous l’appellation gage immobilier, dont le régime figure aujourd’hui aux articles 2379 à 2384 du Code civil. La fonction est demeurée, l’économie aussi, et le texte a gagné en clarté.
L’antichrèse n’est donc pas un fantôme : c’est un gage immobilier avec dépossession, dont la physionomie mérite d’être connue, ne serait-ce que pour mieux comprendre pourquoi d’autres instruments ont pris le dessus dans la pratique quotidienne des financements immobiliers. Légifrance
I. Une idée simple, une histoire longue : de l’antichrèse « classique » au gage immobilier
La logique de l’antichrèse est ancienne : au lieu de rembourser en numéraire, le débiteur confie au créancier la jouissance d’un immeuble ; celui-ci perçoit les fruits (au premier chef, les loyers), qu’il impute d’abord sur les intérêts, puis sur le principal. Tant que la créance n’est pas éteinte, le créancier conserve la chose ; lorsque tout est payé, la jouissance retourne au débiteur. Le schéma met les revenus de l’actif au service de la dette, sans passer par une circulation d’argent distincte : l’actif se « rembourse » lui-même. Le Code civil de 1804 l’avait codifiée dans un chapitre spécifique (« De l’antichrèse », anciens articles 2085 à 2091), décrivant déjà l’obligation d’entretien et l’imputation des fruits. Ces textes, longtemps reproduits dans les éditions anciennes, ont été abrogés lors de la grande refonte de 2006 ; le législateur a cependant repris la figure, en la modernisant, dans le titre des sûretés réelles immobilières. On a donc assisté non pas à une disparition, mais à une requalification. Légifrance+1
La refonte de 2006 a d’abord repositionné la sûreté au sein du Livre consacré aux sûretés ; la réforme de 2009 a ensuite substitué, par une logique de simplification terminologique, le nom de « gage immobilier » à celui d’« antichrèse ». Le « gage », historiquement rattaché aux meubles, s’est ainsi étendu sémantiquement à l’immeuble, sous la réserve essentielle qui caractérise l’antichrèse : la dépossession. Depuis l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés, entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2022, le régime positif du gage immobilier est parfaitement synthétique : l’article 2379 en donne la définition ; les articles 2381 à 2384 organisent les effets, du droit de percevoir les fruits à l’extinction du droit ; et l’article 2380 opère un renvoi utile à plusieurs dispositions du régime hypothécaire (droit de préférence, de suite, modes de réalisation). Le praticien dispose ainsi d’un corpus clair et resserré, qui permet de manier la sûreté sans se perdre dans un dédale textuel. Légifrance+1
II. Définition positive : le gage immobilier (ex-antichrèse)
La définition actuelle tient en peu de mots : « Le gage immobilier est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation avec dépossession de celui qui la constitue » (C. civ., art. 2379). Tout est là : une obligation garantie, un bien immobilier précisément désigné, et surtout une dépossession effective. Tandis que l’hypothèque laisse la chose chez le débiteur, le gage immobilier l’emporte vers le créancier, qui en a la possession juridique et, par-là, la jouissance économique. Cette dépossession explique et justifie l’économie du régime : le créancier doit conserver l’immeuble, en assurer l’entretien et peut percevoir les fruits ; les sommes ainsi encaissées sont imputées sur les intérêts puis sur le capital ; il lui est permis d’organiser la jouissance par un bail qu’il consent à un tiers ou… au débiteur lui-même ; le débiteur, pour sa part, ne peut réclamer la restitution avant l’entier acquittement de sa dette. Le Code civil range ces règles aux articles 2381 à 2383 ; il prévoit ensuite l’extinction des droits du créancier, notamment par paiement ou par restitution anticipée de l’immeuble (art. 2384). Enfin, l’article 2380 opère un pont avec les hypothèques, en rendant applicables au gage immobilier plusieurs dispositions hypothécaires, notamment celles qui gouvernent la réalisation de la sûreté (vente forcée, attribution judiciaire, pacte commissoire). L’ensemble constitue une sûreté réelle immobilière d’un maniement singulier : plus lourde qu’une hypothèque en raison de la dépossession, mais potentiellement plus sécurisante lorsqu’il s’agit de capter les flux locatifs. Légifrance
III. Jouissance, fruits et « antichrèse-bail » : le cœur fonctionnel de la sûreté
Parce qu’il détient la possession du bien, le créancier est placé en position de percipient. Le Code civil l’énonce sans détour : « Le créancier perçoit les fruits de l’immeuble affecté en garantie à charge de les imputer sur les intérêts, s’il en est dû, et subsidiairement sur le capital de la dette » (art. 2381). Cette imputation existe dès 1804 ; elle a survécu à toutes les réformes, car elle est consubstantielle à l’économie de l’antichrèse. Le créancier ne devient pas propriétaire des fruits : il est comptable de leur affectation ; il doit rendre compte de ce qu’il a perçu, comme il doit rendre compte des dépenses indispensables qu’il a engagées pour conserver et entretenir l’immeuble. À défaut d’entretien, le Code est sévère : l’obligation est sanctionnée par la déchéance du droit, sauf à rendre l’immeuble à son propriétaire. Nous sommes ici dans une logique de gestion-garantie : l’immeuble est affecté à la dette, mais il demeure, dans son essence, un bien d’autrui, que le créancier administre comme un bon père de famille, avec l’idée que la valeur locative – c’est-à-dire la capacité de produire des fruits – doit être préservée. Légifrance
Le Code autorise expressément ce que la pratique nomme parfois l’antichrèse-bail : « Le créancier peut, sans en perdre la possession, donner l’immeuble à bail, soit à un tiers, soit au débiteur lui-même » (art. 2382). Le dispositif est d’une grande souplesse : lorsqu’il est peu opportun que le créancier gère lui-même la location, il peut confier la jouissance à un professionnel de l’immobilier ou, selon les cas, relouer à l’ancien propriétaire, qui continue d’occuper les lieux moyennant un loyer venant alimenter, à due concurrence, l’extinction de la créance. La solution n’est pas théorique : elle neutralise le coût de gestion et, parfois, apaise les tensions en évitant une éviction brutale au profit d’un schéma d’apurement. Le Code en donne la clef de voûte en interdisant au débiteur d’anticiper la restitution : tant que la dette n’est pas éteinte, la possession demeure chez le créancier (art. 2383). Le « balancier » entre jouissance et responsabilité est donc parfaitement équilibré : d’un côté, l’attractivité économique de la sûreté tient à la perception directe des fruits ; de l’autre, la loi impose la conservation du bien, la reddition des comptes et la possibilité pour le créancier de se décharger en restituant l’immeuble si la garde devenait trop lourde. Légifrance
IV. Publicité, opposabilité, et articulation avec les hypothèques
Comme toute sûreté réelle immobilière, le gage immobilier ne prend place dans l’ordre juridique qu’à la condition d’être publié. L’inscription foncière est le lieu de sa naissance opposable et, surtout, de sa priorité en concours. Du reste, l’article 2380 soumet le gage immobilier à différentes dispositions des hypothèques (art. 2390, 2409 à 2413, 2415 et 2450 à 2453), de sorte que le droit de préférence et le droit de suite s’y appliquent mutatis mutandis, ainsi que les modes de réalisation. Le gage immobilier se « cale » donc sur la discipline hypothécaire pour l’essentiel des effets externes : priorité, poursuite sur le bien entre les mains d’un tiers acquéreur, et articulation avec les procédures d’exécution immobilière. Dans l’économie des sûretés, cette hybridation n’est pas un bricolage : elle est un choix de cohérence qui évite de dupliquer, pour une sûreté marginale en pratique, tout un arsenal de règles. Le praticien doit en tirer une conséquence : un gage immobilier bien publié et correctement « rangé » offre une sécurité juridique largement comparable à celle d’une hypothèque, assortie d’une maîtrise des flux locatifs que ne procure pas l’hypothèque. Légifrance+1
V. Réalisation de la sûreté : saisie, attribution judiciaire, pacte commissoire
Lorsqu’intervient la défaillance du débiteur, la question de la réalisation de la sûreté se pose dans les mêmes termes que pour une hypothèque. La réforme de 2006, poursuivie et clarifiée par celle de 2021, a consacré trois voies : la vente forcée selon les modalités du Code des procédures civiles d’exécution ; l’attribution judiciaire, par laquelle le juge peut décider que l’immeuble demeurera en paiement au créancier (hors résidence principale du constituant) ; et le pacte commissoire, autorisant les parties à convenir que, faute de paiement, le créancier deviendra propriétaire du bien affecté en garantie. L’article 2380 renvoie précisément à ces dispositions (au sein des articles 2450 à 2453), de sorte que le gage immobilier bénéficie, pour sa réalisation, de l’arsenal hypothécaire, sous les mêmes garde-fous (protection de la résidence principale, exigences de proportionnalité, contrôle de la valeur en cas d’attribution). Là encore, la cohérence du système est assumée : ce qui vaut pour l’hypothèque, vaut – autant que possible – pour le gage immobilier. Légifrance+1
VI. Pourquoi le gage immobilier est-il si peu usité ?
La question, souvent posée par les étudiants comme par les clients, appelle une réponse nuancée. Sur le papier, l’instrument est puissant : il capte les fruits au bénéfice de la dette, sécurise un flux plutôt qu’un stock, et impose au créancier une discipline de conservation qui protège la valeur. Dans les faits, plusieurs raisons expliquent sa rareté. La première tient à la dépossession. En droit comme en économie, perdre la jouissance de son bien est un coût psychologique et financier, que le débiteur supporte mal. La seconde est opérationnelle : détenir la possession d’un immeuble, gérer des baux, répondre aux demandes des locataires, superviser les réparations, payer les impôts fonciers, assurer l’immeuble, tenir la comptabilité des fruits et des dépenses, ce n’est plus « seulement » garantir une créance : c’est administrer un patrimoine. Or la plupart des créanciers – au premier rang desquels les établissements de crédit – n’ont pas vocation à se transformer en gestionnaires immobiliers. Ils préfèrent des sûretés non-gestionnaires qui, en cas de défaillance, donnent un droit de poursuite ou d’attribution, mais ne les chargent pas, en amont, du fardeau de la gestion.
La troisième est technique : le marché français a développé des outils alternatifs extrêmement efficaces. Une hypothèque correctement calibrée, éventuellement combinée avec une cession de loyers à titre de garantie (ou un nantissement de créances portant sur les loyers), obtient un résultat économique très proche de l’antichrèse, sans la dépossession ni la charge de gestion ; la fiducie-sûreté, pour des dossiers sophistiqués, ajoute la possibilité d’un transfert de propriété à titre de garantie au bénéfice d’un fiduciaire professionnel qui en assure la gouvernance. À l’échelle du financement immobilier, ces montages ont une prévisibilité et une liquidité supérieures. De là vient la réputation d’« antiquité » accolée à l’antichrèse : ce n’est pas qu’elle soit juridiquement obsolète ; c’est qu’elle n’offre pas, au regard des coûts d’organisation, un avantage comparatif durable face aux techniques dominantes.
VII. Ce que change la réforme de 2021 et ce qui demeure
L’ordonnance du 15 septembre 2021 a surtout réécrit et resserré les textes. La définition du gage immobilier a été maintenue et clarifiée ; la gestion par le créancier a été modernisée par une rédaction plus ramassée ; la possibilité de donner le bien à bail a été replacée à son juste niveau, ce qui consacre en droit ce que la pratique appelle l’antichrèse-bail ; enfin, le renvoi aux modes de réalisation hypothécaires évite tout doute. Au-delà de cette mise à jour, l’essentiel demeure : le cœur de la sûreté est immuable, à savoir un droit de jouissance corrélé à un devoir de conservation, au service d’une imputation des fruits sur la dette. La réforme a donc apporté ce que l’on attendait d’elle : lisibilité et cohérence. Elle n’a pas, en revanche, modifié l’appétence du marché pour l’instrument, demeurée modeste, sans surprise, tant que la dépossession restera un verrou économique. Légifrance+1
VIII. Éléments de technique contractuelle : ce qu’un bon acte doit prévoir, sans fétichisme formaliste
La rédaction d’un gage immobilier n’est pas un exercice à improviser. La sûreté porte sur un immeuble identifié ; elle est destinée à garantir une créance dont il faut préciser le montant, l’échéancier ou, à tout le moins, un plafond déterminable ; elle organise une jouissance et des flux ; elle s’insère dans un environnement de publicité foncière. L’acte doit donc décrire avec précision le bien (désignation foncière, consistance, lotissement et tantièmes en copropriété, état locatif), fixer les modalités de remise de la possession (remise des clés, état des lieux, cession des contrats de gestion et des dépôts de garantie lorsqu’ils existent, notifications aux locataires quant au destinataire des loyers), arrêter une comptabilité des fruits et des dépenses (périodicité des comptes, justificatifs, droit de contrôle du débiteur), adresser les questions d’assurance (risques locatifs, responsabilité civile, dommages ouvrage pour les gros travaux) et, le cas échéant, encadrer la restitution anticipée si le créancier entend se décharger. Sur ce point, l’article 2384 donne une porte de sortie assumée : les droits du créancier s’éteignent par restitution anticipée de l’immeuble, en plus de l’extinction de l’obligation principale. Cette voie est utile lorsque la conservation devient trop coûteuse ou trop risquée, ou lorsque les fruits ne couvrent plus convenablement ni les intérêts ni les charges.
L’acte doit également préfigurer la réalisation de la sûreté en cas de défaillance, en prévoyant, si les parties le souhaitent, un pacte commissoire (dans les bornes du droit positif) ou, au minimum, l’attribution judiciaire ; le renvoi de l’article 2380 autorise le rédacteur à puiser dans les articles 2450 à 2453 pour organiser, d’avance, le théâtre des opérations.
Dans un dossier transfrontalier, rien n’interdit de croiser l’outil avec des mécanismes de droit étranger (trusts, fiducie d’inspiration étrangère, security agent), pourvu que l’on respecte les règles de droit international privé relatives aux immeubles (lex rei sitae), à la publicité et à l’opposabilité.
IX. Fiscalité, flux et reddition des comptes : un triangle à équilibrer
La fiscalité de l’antichrèse – pardonnez le mot ancien – suit la nature des revenus. Lorsque le créancier perçoit des loyers, il encaisse des revenus fonciers ou, selon l’organisation, des recettes professionnelles ; il déduit les charges nécessaires qu’il supporte, ce que le droit positif lui permet d’imputer avant l’affectation des fruits à la dette (art. 2381). Du côté du débiteur, il n’y a pas perception directe de loyers ; l’analyse se déporte sur la réduction de la dette par imputation : l’extinction par compensation économique ne crée pas un revenu imposable autonome ; en revanche, la plus-value ultérieure (si l’immeuble est cédé) suit le droit commun. En présence d’un immeuble assujetti à la TVA (local commercial soumis à option, bail soumis), la mécanique des déductions et la répercussion des loyers TTC doivent être contractualisées avec soin, de manière à éviter qu’un désalignement fiscal ne vienne gripper la comptabilité des flux. Ce triptyque – flux, fiscalité, comptes – n’est pas l’ornement d’un acte : c’est le cœur de sa viabilité.
X. Antichrèse et procédures collectives : compatibilités et tensions
L’antichrèse, comme toute sûreté, est exposée à l’aléa collectif. Le déclenchement d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire n’anéantit pas la sûreté ; il en discipline l’exercice. La dépossession confère au créancier un droit de rétention de fait ; mais celle-ci se heurte aux besoins d’exploitation de l’entreprise en procédure, et aux prérogatives de l’administrateur. La poursuite de la réalisation est en principe gelée ; les intérêts peuvent cesser de courir ; certaines dépenses nécessaires à la conservation de l’actif sont postérieures et privilégiées. Il faut ici mesurer le coût d’une sûreté gestionnaire : conserver un actif pendant une procédure peut se révéler plus onéreux que prévu, surtout si les fruits se tarissent (vacance locative, sinistre). Dans ce contexte, la faculté de restitution anticipée prévue par l’article 2384 retrouve tout son sens : mieux vaut, parfois, rendre l’immeuble, perdre la jouissance, mais cesser de supporter des charges qui ne s’imputent plus utilement sur la dette. Le droit n’impose pas ici une vocation héroïque au créancier : il lui propose une issue.
XI. Comparaison rapide : Espagne et monde romaniste
Dans d’autres ordres juridiques, l’antichrèse n’a pas été rebaptisée et demeure codifiée telle quelle. L’Espagne, par exemple, la définit à l’article 1881 du Code civil : le créancier acquiert le droit de percevoir les fruits d’un immeuble de son débiteur, à charge de les appliquer d’abord aux intérêts, puis au capital. Le parallèle n’est pas anecdotique : il confirme qu’au-delà des variations terminologiques, la matière est identique, jusque dans l’ordre d’imputation ; il éclaire aussi la faible appétence pratique de la sûreté dans les systèmes où elle n’a pas été modernisée, pour les mêmes raisons de gestion. En Amérique latine ou en Grèce, la figure subsiste également, parfois ravivée par des réformes ponctuelles, mais sans conquérir les usages courants du financement : là encore, le verrou tient moins à la règle qu’à l’économie. civil-mercantil.com
XII. Quand (encore) recourir au gage immobilier ?
Là où l’on a affaire à un immeuble de rapport bien loué, avec un rendement régulier et une gestion déjà en place (mandataire immobilier opérationnel, contrats d’assurance à jour, maintenance planifiée), la sûreté peut retrouver une pertinence : la perception directe des loyers remplace avantageusement un flux de remboursement que l’on sait fragile ; la dépossession n’est pas vécue comme un traumatisme si le débiteur continue d’occuper certains espaces à titre locatif via un bail conclu par le créancier ; les comptes peuvent être tenus proprement par le gestionnaire. Dans cette hypothèse, le gage immobilier devient un instrument de discipline financière, presque un outil d’apurement. L’expérience montre cependant que le plus souvent, on recompose l’effet recherché par une cession de loyers couplée à une hypothèque, pour l’une des raisons suivantes : le débiteur souhaite rester en possession ; le créancier ne veut pas gérer ; la banque a besoin d’un outil standardisé ; l’environnement contractuel ou réglementaire (contrats commerciaux, bail d’habitation, copropriété) se prête mieux à une opposabilité des cessions de créances qu’à une dépossession réelle.
XIII. Conclusion : comprendre l’antichrèse pour mieux choisir ses sûretés
La force de l’antichrèse – aujourd’hui gage immobilier – tient à la coïncidence qu’elle opère entre garantie et jouissance : la sûreté n’est plus un droit de poursuite différé, elle est exercice présent d’un droit sur la chose, organisé autour de la perception des fruits, de leur imputation et de la conservation de l’immeuble. C’est un mécanisme élégant, d’une grande cohérence interne, qui ne souffre pas le reproche d’archaïsme dès lors qu’on le lit dans sa version réformée. Si la pratique française lui préfère d’autres chemins, ce n’est pas parce qu’elle serait mal faite ; c’est parce qu’elle coûte à celui qui la subit (dépossession) et coûte à celui qui l’administre (gestion, risques, reddition des comptes), quand l’hypothèque, la cession de loyers et la fiducie-sûreté couvrent mieux les besoins standardisés du financement.
Pour le praticien, l’essentiel est de savoir l’identifier lorsqu’elle réapparaît dans un dossier, de maîtriser ses règles positives et de ne pas confondre l’outil avec des mécanismes voisins. Le droit français, loin de l’avoir reléguée, en a au contraire solidifié l’ossature sous le nom de gage immobilier ; il en a modernisé l’expression ; il l’a articulée clairement avec l’hypothèque. On peut dès lors lui reconnaître une valeur pédagogique majeure et, plus rarement, une valeur opérationnelle dans des architectures sur-mesure. À l’heure où la réforme de 2021 a stabilisé le paysage des sûretés réelles, il n’est pas inutile de garder, au fond de la boîte à outils, la connaissance précise de cette sûreté « par jouissance », qui rappelle que le crédit peut, aussi, se rembourser par l’usage.
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