Plagiat sur les réseaux sociaux : comment protéger ses créations et agir en cas de copie ?
- Rodolphe Rous
- 4 août
- 6 min de lecture

Jamais dans l’histoire de la communication les œuvres n’ont circulé aussi vite et aussi massivement que sur les réseaux sociaux. TikTok, Instagram, YouTube ou encore LinkedIn sont devenus des espaces privilégiés de diffusion de créations visuelles, musicales, textuelles ou audiovisuelles. Mais cette démocratisation a un revers : la prolifération du plagiat. Une vidéo, une photo, un texte ou un design peut être recopié et reposté en quelques secondes, parfois en effaçant toute mention de l’auteur d’origine.
Dans ce contexte, les créateurs — qu’il s’agisse d’artistes, d’influenceurs, d’entrepreneurs ou de simples particuliers — se retrouvent confrontés à une question cruciale : comment protéger leurs contenus en ligne ? Et surtout, que faire lorsqu’ils découvrent qu’ils ont été copiés ?
L’enjeu est à la fois juridique, économique et moral. Il s’agit non seulement de défendre ses droits de propriété intellectuelle, mais aussi de préserver sa visibilité, ses revenus et sa réputation. Cet article propose d’explorer, de façon détaillée et accessible, le cadre juridique applicable au plagiat sur les réseaux sociaux, ses conséquences, les moyens d’action disponibles et les zones grises qui subsistent.
I. Le cadre juridique du plagiat en ligne
A. Définition juridique du plagiat et du droit d’auteur
En droit français, le plagiat n’est pas défini comme tel dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI). La notion retenue par le législateur est celle de contrefaçon, prévue par l’article L.335-2 CPI :
« Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon. »
Autrement dit, copier une œuvre protégée sans autorisation constitue une contrefaçon, que l’on parle ou non de « plagiat » au sens courant.
Il faut rappeler une règle essentielle : ce n’est pas l’idée qui est protégée, mais la forme originale de son expression. Un concept ou un style général (par exemple « filmer une danse sur un toit ») ne peut pas être protégé en soi. En revanche, une vidéo spécifique, avec ses images, son montage, sa musique et son interprétation, relève du droit d’auteur si elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.
La jurisprudence française insiste sur la condition d’originalité. Par exemple, une simple photographie de type documentaire peut être considérée comme une œuvre protégée si elle résulte de choix créatifs (angle, lumière, cadrage). De même, un post Instagram ou un mème peuvent être protégés dès lors qu’ils présentent un minimum d’apport personnel.
B. L’application du droit d’auteur aux contenus numériques
Les réseaux sociaux regorgent de créations variées : textes, images, vidéos, musiques, podcasts, infographies, etc. Toutes ces formes sont susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur.
Les tribunaux français ont déjà eu à se prononcer sur des cas de contrefaçon numérique :
Reprise intégrale d’articles de blog sans mention d’auteur.
Copie de photographies postées sur Instagram, utilisées par des marques commerciales.
Utilisation non autorisée de vidéos ou musiques dans des campagnes publicitaires.
Un point particulier mérite attention : le format court, typique des réseaux sociaux (tweets, reels, stories). Même une création de quelques secondes peut être protégée si elle est originale. Ainsi, un slogan, une punchline ou un montage de quelques images peuvent donner lieu à une action en contrefaçon.
C. Les responsabilités en cas de plagiat
La première responsabilité incombe bien sûr à l’auteur de la copie. Mais les plateformes peuvent aussi être mises en cause, dans une certaine mesure.
Responsabilité de l’auteur du plagiat : il peut être condamné à des dommages-intérêts, voire à des sanctions pénales (jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende en France).
Responsabilité des plateformes : en application de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN, 2004), les réseaux sociaux ont le statut d’hébergeurs. Ils ne sont pas tenus de surveiller a priori l’ensemble des contenus publiés, mais doivent agir promptement pour retirer un contenu illicite signalé. Avec le Digital Services Act (DSA) européen, entré en vigueur en 2024, leurs obligations sont renforcées : transparence des procédures de retrait, coopération avec les autorités, mécanismes de recours pour les utilisateurs.
II. Les conséquences du plagiat sur les réseaux sociaux
A. Un préjudice économique
Le premier dommage causé par le plagiat est souvent financier. Lorsqu’un contenu original est copié et repartagé sans autorisation, l’auteur perd :
les revenus directs (monétisation YouTube, partenariats sponsorisés, ventes liées à l’image),
les revenus indirects (détournement d’audience, perte de contrats).
De nombreuses entreprises ont vu leurs visuels, slogans ou vidéos publicitaires copiés, parfois par des concurrents directs. Dans l’univers de l’influence, la copie d’un concept ou d’un format peut détourner des abonnés et donc des opportunités commerciales.
B. Un préjudice moral et réputationnel
Au-delà de l’aspect économique, le plagiat entraîne une atteinte à la personnalité de l’auteur. L’absence de reconnaissance de son travail peut être vécue comme une spoliation. Dans certains cas, les copies circulent tellement qu’elles finissent par être attribuées à un autre créateur, au détriment de l’original.
C. Un problème de visibilité algorithmique
Les algorithmes des plateformes peuvent aggraver le phénomène. Un contenu copié, posté par un compte ayant plus d’abonnés, bénéficie souvent d’une visibilité supérieure à celle de l’original. L’effet boule de neige aboutit à ce que le plagiaire soit perçu comme l’auteur principal, renforçant le préjudice subi par le véritable créateur.
III. Les moyens d’action contre le plagiat
A. Les mesures préventives
La meilleure défense reste souvent la prévention. Les créateurs disposent de plusieurs outils :
Dépôts officiels : enveloppe Soleau (INPI), dépôt auprès d’une société d’auteurs, dépôt numérique horodaté, ou encore solutions blockchain.
Bonnes pratiques : toujours signer ses créations (watermark sur les photos, mention explicite sur les vidéos, identification de l’auteur dans les descriptions).
Preuves d’antériorité : conserver les fichiers sources, emails ou publications initiales.
B. Les recours amiables
Lorsqu’un plagiat est constaté, la première étape est généralement un signalement auprès de la plateforme.
Chacune d’elles a mis en place des outils :
YouTube : Content ID, permettant aux ayants droit d’identifier automatiquement les vidéos utilisant leurs œuvres.
Instagram et TikTok : formulaires de copyright takedown.
Facebook : Rights Manager.
Il est également possible d’envoyer une mise en demeure directement au plagiaire, lui demandant de retirer le contenu et/ou de mentionner l’auteur.
C. Les recours judiciaires
Si les démarches amiables échouent, il reste l’option judiciaire.
Action civile en contrefaçon : demande de suppression du contenu, indemnisation du préjudice.
Action pénale : en cas de plagiat massif ou lucratif, l’auteur peut saisir le procureur.
Les juridictions françaises condamnent régulièrement des plagiaires, avec des dommages-intérêts proportionnés au préjudice subi.
IV. Les limites et zones grises du plagiat en ligne
A. La frontière entre inspiration et copie
Il n’est pas toujours simple de trancher entre inspiration et plagiat. Les réseaux sociaux reposent largement sur la reprise de tendances : chorégraphies TikTok, challenges viraux, mèmes. La loi française reconnaît des exceptions : parodie, pastiche, citation, parodie musicale. Mais ces exceptions sont strictement encadrées.
B. Le rôle des plateformes et leur efficacité relative
Malgré leurs dispositifs, les plateformes sont souvent critiquées. Les signalements peuvent être traités avec lenteur, certains contenus restent en ligne, et inversement, des œuvres originales sont parfois supprimées à tort. L’équilibre entre protection des droits et liberté d’expression reste difficile.
C. La banalisation du plagiat dans la culture numérique
Enfin, un phénomène culturel ne doit pas être sous-estimé : pour beaucoup d’utilisateurs, surtout les plus jeunes, partager et copier est naturel. La frontière entre hommage, inspiration et vol est parfois brouillée. Ce constat plaide pour une éducation à la propriété intellectuelle, afin de sensibiliser dès l’école aux droits des créateurs.
Conclusion
Le plagiat sur les réseaux sociaux est une réalité quotidienne qui touche autant les particuliers que les professionnels. Il met en jeu des droits fondamentaux — le droit d’auteur — mais aussi des enjeux économiques et culturels considérables.
Les créateurs doivent rester vigilants : protéger leurs œuvres, surveiller leur diffusion, agir rapidement en cas de copie. Les plateformes offrent des outils, certes imparfaits, mais utiles.
Et en dernier recours, la justice peut sanctionner les plagiaires.
Cependant, la lutte contre le plagiat ne peut pas reposer uniquement sur la répression. Elle implique aussi une évolution des mentalités, pour rappeler que derrière chaque photo, chaque vidéo, chaque texte partagé en ligne, il y a un auteur qui mérite reconnaissance et respect.
À l’heure où le droit européen renforce la régulation des grandes plateformes, il appartient à chacun — créateurs, avocats, institutions, éducateurs — de contribuer à une culture numérique plus respectueuse des droits de propriété intellectuelle.
Pour plus d'informations: https://www.rous-avocat.fr/contact
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