Passeport italien : c’est maintenant ou jamais !
- Rodolphe Rous
- 3 oct.
- 17 min de lecture

Vous voulez un passeport italien ?
Ce que vous voulez n’a rien d’abstrait. Vous ne demandez pas une dissertation sur le ius sanguinis, ni un inventaire des sigles et des formulaires. Vous voulez un objet très simple et lourd de sens : un passeport italien. Vous voulez pouvoir poser ce document sur la table, le feuilleter comme on feuillette un album de famille, et dire sans rougir : « je suis italien, comme l’étaient mes grands-parents ». Depuis des décennies, la reconnaissance de la citoyenneté italienne par filiation a permis à d’innombrables descendants d’Italiens établis en France de renouer avec cette identité. Or le cadre juridique a changé en 2025. Il s’est resserré, puis des circulaires administratives ont encore épaissi les conditions, notamment autour d’un point très sensible, que l’on qualifie de minor issue. Dans le même temps, des contentieux ont été engagés : ils pourraient rouvrir provisoirement certaines portes. Et parce que l’Italie est un État qui gouverne aussi par décret-loi en cas de nécessité et d’urgence, il est raisonnable de prévoir que, si la jurisprudence élargit les droits, l’exécutif réagira rapidement pour encadrer à nouveau l’accès pour les nouveaux dossiers. Voilà la dynamique diachronique que vous devez comprendre : un avant plus ouvert, un tourant restrictif en 2025, une réouverture possible par les juges, et, très probablement, une nouvelle fermeture rapide par un ou plusieurs décrets-lois. Dans un tel mouvement d’accordéon, une seule chose dépend entièrement de vous : la date de dépôt de votre demande. C’est elle qui fige votre position dans le droit vivant. C’est elle qui décidera, demain, si vous avancez vers la transcription, l’AIRE et, enfin, le passeport — ou si vous restez au seuil.
I. Ce que signifiait « être italien par le sang » avant 2025
Durant de longues années, la loi italienne sur la citoyenneté a reposé sur un principe simple : la nationalité se transmet par la filiation, ius sanguinis. Il ne s’agissait pas d’une faveur gracieusement accordée, mais d’une reconnaissance juridique : si vos actes d’état civil établissaient sans rupture que vous descendiez d’un citoyen italien, la citoyenneté vous « accompagnait » en quelque sorte depuis la naissance, quand bien même votre état civil français ne la mentionnait pas. L’exercice était souvent technique : réunir des actes de naissance, de mariage et parfois de décès sur plusieurs générations, harmoniser des orthographes mouvantes (Giovanni devenu Jean, Maria devenue Marie), retrouver des communes italiennes disparues ou fusionnées, faire légaliser ou apostiller des documents, puis faire traduire l’ensemble par un professionnel assermenté. Mais le cœur du système ne décourageait pas le descendant de quatrième ou de cinquième génération : il l’invitait à apporter la preuve. Le juge, l’officier d’état civil italien, le consulat voyaient dans cette filiation une trajectoire continue que la migration n’avait pas brisée. Cette lecture ample du ius sanguinis correspondait à une histoire nationale, à une diaspora immense, à une Italie consciente que ses enfants étaient partis sans cesser d’être les siens.
Les obstacles étaient réels, mais davantage pratiques que conceptuels. Le plus souvent, c’étaient les lacunes documentaires qui causaient les retards : un acte introuvable dans une mairie française, un registre paroissial partiellement brûlé, une date mal recopiée au lendemain d’une guerre, une mention marginale que personne ne savait lire. On composait avec ces résistances du réel, on sollicitait des recherches complémentaires, on produisait des attestations de non-existence, on recoupait par d’autres pièces contemporaines (recensements, livrets militaires, listes d’embarquement). Bref, l’ancien cadre s’occupait moins de fermer des portes que de vérifier qu’on avait la clé. Et pour des familles établies en France depuis deux, trois ou quatre générations, ce système répondait à une évidence intime : on pouvait être né à Lyon, à Marseille, à Lille, et rester fils, petite-fille, arrière-petit-fils d’Italiens.
II. Le tournant de 2025 : un resserrement assumé, une ligne d’application plus stricte
L’année 2025 a marqué un basculement. Un décret-loi du 28 mars 2025, ensuite converti avec modifications par la loi du 23 mai 2025, a réécrit des segments importants de la loi n° 91 du 5 février 1992 sur la citoyenneté. Au-delà des détails techniques, il faut en retenir l’esprit : limiter des effets considérés comme trop expansifs, encadrer le jeu des preuves, et donner aux autorités administratives des critères plus stricts pour accueillir ou refuser. Dans les semaines qui ont suivi l’entrée en vigueur, des instructions ont été diffusées par le ministère de l’Intérieur afin d’uniformiser les pratiques. C’est là, au cœur de la mécanique administrative, que s’est ancrée une lecture plus étroite du ius sanguinis.
Ce resserrement n’a pas aboli la filiation. Il a, en revanche, fait basculer la charge de la preuve et la qualification des situations dans une zone plus exigeante. L’effet réel pour les descendants établis en France s’est vite fait sentir : là où l’on examinait auparavant une chaîne d’actes avec bienveillance et patience, on a commencé à rechercher des ruptures potentielles, des interstices où la chaîne serait fragilisée par un événement intervenu dans la génération d’en haut. Le ton a changé, et avec lui la manière d’écouter les dossiers. Ce que l’on considérait jadis comme une irrégularité documentable est devenu, dans un nombre croissant de cas, un motif de rejet.
III. La circulaire et le « minor issue » : quand l’interprétation ferme des dossiers
Dans ce durcissement, un point a concentré les tensions : le minor issue. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’un nœud juridique. Lorsque le parent italien se naturalise dans le pays d’accueil, quels sont les effets, au regard de la citoyenneté italienne, pour l’enfant mineur qui vit sous son toit, et que dit exactement la loi sur la continuité de la filiation italienne dans cette hypothèse ? Des circulaires sont venues proposer — et imposer dans les faits — une lecture particulièrement restrictive : naturalisation du parent, enfant mineur, donc perte ou défaut d’acquisition, donc chaîne interrompue. Cette manière de voir a fait l’effet d’un couperet. D’un seul geste, quantité de descendants dont la chaîne passait par un ascendant mineur au moment d’une naturalisation parentale ancienne se sont retrouvés refoulés, quand bien même toutes les autres conditions étaient réunies. Pour ces familles, c’est un pan entier de l’ancien ius sanguinis qui s’est volatilisé derrière une formule technique. Car au bout de cette lecture administrative, il n’y a ni transcription ni AIRE, et donc aucun passeport à la clé.
En vérité, ce minor issue a trop souvent été appliqué comme une vérité révélée, alors qu’il n’était qu’une interprétation contestable du droit positif. Il ne s’agissait pas d’un article clair de la loi 91/1992 dictant un automatisme défavorable, mais d’un faisceau d’indices mobilisé pour conclure à une interruption. C’est précisément pour cela que des recours ont été introduits : si la loi n’ordonne pas expressément cette rupture, il appartient aux juges de dire le droit, de trancher le sens de la filiation, d’arbitrer la portée des naturalisations passées et la protection due aux enfants de l’époque.
IV. Les contentieux : rouvrir ce que l’administration a fermé, rappeler la Constitution
Deux fronts judiciaires se dessinent, complémentaires. D’une part, la Cour de cassation a été saisie du minor issue. La question a été renvoyée aux Sezioni Unite, formation plénière chargée de dégager une règle de principe lorsque la jurisprudence diverge ou que la question est d’intérêt général. Le message est limpide : ce n’est pas parce qu’une circulaire pose un principe qu’il est conforme au droit. En d’autres termes, ce que l’administration ferme peut être rouvert par le juge, et cette réouverture n’est pas une faveur, c’est le rétablissement de la bonne lecture.
D’autre part, la Cour constitutionnelle s’est prononcée, au cœur de l’été 2025, sur des questions visant l’ancien ius sanguinis en tant que tel, et les a déclarées irrecevables.
Contrairement à ce que certains commentaires rapides ont voulu croire, la Cour n’a pas établi que l’ancien régime était intrinsèquement contraire à la Constitution. Parallèlement, d’autres renvois ciblant les nouvelles dispositions issues du décret-loi de 2025 ont suivi leur cours ; une audience est annoncée pour le début de l’année 2026. Les griefs sont classiques : sécurité juridique, proportionnalité, non-rétroactivité, égalité devant la loi. S’ils aboutissent partiellement, ils peuvent remettre en cause des segments du dispositif de 2025, particulièrement sur la manière dont il s’applique aux demandes déjà introduites ou à des situations en cours, et redonner de l’air à nombre de descendants.
Ce point est capital pour vous, lecteur : lorsque la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle parlent, le droit s’ajuste immédiatement dans les prétoires et, très vite, dans les bureaux consulaires et communaux. Les refus fondés sur une interprétation trop étroite ne résistent pas longtemps à une règle jurisprudentielle de principe. Les instructions changent, les dossiers jusqu’alors « impossibles » deviennent soudain « admissibles ». Une lumière s’allume au bout du couloir.
V. Pourquoi cette réouverture ne durera pas : le décret-loi, instrument de réaction immédiate
L’Italie connaît un instrument juridique puissant : le décret-loi, adopté par le Gouvernement en cas de nécessité et d’urgence, applicable immédiatement dès sa publication, puis soumis à conversion dans un délai de soixante jours. Ce mécanisme n’est pas une curiosité ; c’est l’outil même qui a servi au tournant de 2025. Il n’y a donc rien de spéculatif à dire que, si la Cour de cassation adopte une lecture protectrice sur le minor issue, et si la Cour constitutionnelle censure partiellement la réforme de 2025, l’exécutif pourra intervenir sans délai pour adapter la loi à ces nouvelles lectures, tout en encadrant strictement les conditions d’accès pour l’avenir.
Le mot « avenir » n’est pas choisi au hasard. Un décret-loi — et la loi de conversion qui suit — peuvent resserrer les conditions pour les demandes nouvelles, fixer des bornes temporelles, redéfinir des standards probatoires, imposer des délais de déclaration, organiser des régimes transitoires toujours plus étroits. Ils ne peuvent pas, en principe, effacer rétroactivement des droits déjà consolidés, ni balayer la confiance légitime des personnes qui ont agi de bonne foi sous l’empire du droit du jour. Entre ces deux notions — l’avenir resserré et le passé protégé — se loge votre stratégie : faire passer votre dossier du côté de l’histoire déjà écrite, c’est-à-dire déposer maintenant pour être, demain, du côté des situations respectées.
VI. La date de dépôt : une ligne de vie juridique
Au milieu de tant de mouvements, la date de dépôt est une ancre. Elle permet de déterminer le cadre applicable, elle fonde votre confiance légitime, elle vous place dans une chronologie opposable aux bureaux et aux juges. Dans la vie d’un dossier, tout n’est pas égal : il y a le temps du renseignement, le temps des recherches d’état civil, le temps du tri, et il y a le moment où l’on remet physiquement ou électroniquement son dossier, où l’on reçoit un accusé de dépôt, où l’on inscrit une date dans l’histoire administrative de sa propre famille.
C’est ce moment que vous devez provoquer sans attendre. Car ce n’est pas demain qu’un décret viendra « régulariser les attentistes » ; c’est demain, au contraire, que des formulations soigneusement choisies réserveront les solutions nouvelles aux demandes déjà introduites, et cantonneront l’ouverture aux seuls dossiers en cours.
Si vous avez déjà vécu une réforme administrative, vous connaissez la musique : le jour où un élargissement jurisprudentiel est annoncé, les guichets s’emplissent ; les jours qui suivent, une vague de texte arrive pour préciser, cadrer, normaliser, écumer. Dans ce flux, la date qui figure sur votre récépissé devient votre meilleur argument. Elle dit que vous n’avez pas joué contre le système, mais que vous avez agi à temps. Elle dit que vous n’avez pas profité d’une brèche, mais que vous avez pris votre place dans une file que l’on ne peut pas vous retirer.
Elle dit, surtout, que vous avez des droits à faire valoir et que le droit de demain ne peut pas les piétiner.
VII. « J’attends d’avoir tout parfait » : le perfectionnisme est l’ennemi de votre passeport
La première objection que j’entends toujours est la plus humaine : « je préfère déposer quand le dossier sera parfait ». Elle sonne bien, mais elle est dangereuse. Dans un monde stable, le perfectionnisme est une vertu ; dans un monde qui se resserre, c’est une stratégie perdante. Rien ne vous oblige à déposer un dossier vide. L’objectif est d’atteindre un niveau de complétude suffisant pour franchir le seuil, tout en documentant sérieusement ce qui manque, par des attestations de recherches, des demandes en cours, des justificatifs des délais raisonnables. La pratique administrative connaît ces situations : l’exigence n’est pas de magie, elle est de diligence. Là où vous croyez que le dépôt exige la perfection, le droit vous demande surtout de prouver que vous avez entrepris, de bonne foi, tout ce qui est en votre pouvoir.
Le paradoxe est cruel : en attendant un hypothétique « dossier idéal », beaucoup se retrouveront demain face à un décret-loi qui fixera une date couperet, ou qui exigera des conditions nouvelles que leur dossier, même parfait, ne remplira plus. Le choix n’est pas entre l’imparfait et l’idéal, il est entre l’imparfait d’aujourd’hui qui verrouille vos droits, et l’impossible de demain qui ne les connaîtra plus. Celui qui dépose maintenant accepte la modestie de la réalité — une pièce manque, une concordance doit être mieux démontrée — mais il s’assure la possibilité d’achever son chemin. Celui qui attend promet tout à plus tard et se réveille sur un quai vide, le train déjà parti.
VIII. « Le consulat est saturé » : il existe des voies pour faire dater votre dossier
Deuxième objection : « on ne peut pas avoir de rendez-vous, c’est saturé ». Cette saturation est réelle, mais elle n’est pas fatale. La procédure italienne n’est pas un couloir unique. Il existe des dépôts électroniques via des boîtes certifiées, des envois postaux recommandés, des remises en mains propres à des communes italiennes pour certaines étapes, et, dans des cas pertinents, des saisines judiciaires qui permettent d’obtenir un enrôlement et donc un horodatage juridiquement incontestable. La stratégie ne consiste pas à s’acharner contre une porte fermée, mais à emprunter la porte qui s’ouvre le plus vite pour y laisser votre trace.
Chaque canal a sa technique, ses exigences formelles, sa manière de produire une preuve. Ce qui compte, c’est de faire naître votre dossier dans le système, avec un numéro, une date, un accusé que l’on pourra montrer demain.
Notre époque confond trop souvent le « guichet utilisé » et la « réalité juridique ». Le consulat est un instrument ; la commune italienne en est un autre ; le juge, dans l’architecture italienne, n’est pas l’ennemi du citoyen, il est une voie de règlement des désaccords sur l’application de la loi. L’intelligence d’un dossier ne s’évalue pas au nombre de mois passés à tenter un rendez-vous en ligne, mais à la capacité d’identifier le canal qui garantit le plus certainement une preuve d’introduction.
IX. « Et si la jurisprudence s’élargit, j’attends pour surfer sur la vague » : la vague se brise sur un décret
Troisième objection : « les Sezioni Unite risquent de nous donner raison sur le minor issue ; attendons la bonne nouvelle ». C’est précisément le raisonnement qui conduit à rester du mauvais côté de l’histoire. Quand une décision de principe élargit des droits, l’administration et le législateur d’urgence sont tentés d’en circonscrire la portée pour l’avenir, au nom de l’ordre public administratif et de la gestion des flux. L’Italie ne fait pas exception. La période d’euphorie qui suit l’arrêt se compte en jours, parfois en semaines, rarement en mois. C’est durant ce laps de temps que les demandes déjà introduites s’alignent sur la nouvelle jurisprudence ; c’est ensuite que le texte d’ajustement intervient pour rappeler que tout ouverture a ses conditions, ses délais et ses limites.
Vous voyez le piège : celui qui attend la décision pour déposer sera celui que la loi nouvelle visera le plus directement. À l’inverse, celui qui a déjà déposé, qui a un numéro de dossier, qui a une preuve horodatée, pourra demander l’application de l’arrêt à son cas. Il se présentera non comme un nouveau venu profitant d’une fenêtre, mais comme un justiciable en cours de procédure, auquel la règle de droit la plus récente doit bénéficier, sans que l’on lui oppose un nouveau barrage conçu après coup.
X. « Et si la loi change après mon dépôt ? » : c’est justement pour cela que l’on dépose
Quatrième objection : « si le décret-loi suit la jurisprudence, ne risque-t-il pas de me rattraper ? ». Le dépôt n’est pas un talisman qui rend invincible, mais c’est un bouclier extrêmement utile. Les principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime irriguent l’ordonnancement juridique italien. La loi, surtout quand elle intervient en urgence, n’efface pas les démarches engagées de bonne foi sous l’empire d’un droit existant ; elle les traite selon des dispositions transitoires spécifiques, précisément parce que l’État reconnaît qu’il a une responsabilité envers ceux qui ont suivi les règles du jour. Dans les conversions parlementaires des décrets, on lit toujours des formulations qui prennent soin de préserver les procédures en cours. Vous ne serez pas livré au vide ; vous serez placé dans un carcan nouveau, peut-être plus exigeant, mais sur une file déjà ouverte et reconnue. De là, il est possible d’avancer.
C’est une différence conceptuelle et pratique : la loi peut durcir l’avenir, elle peut compliquer la route, mais elle ne vous renvoie pas, rétroactivement, à l’état d’avant que vous ayez commencé. Et si la jurisprudence vous est favorable, vous pouvez demander son application, car vous n’êtes pas un opportuniste de dernière minute ; vous êtes un requérant sérieux qui a agi à temps.
XI. « Mon cas est fragile à cause d’un acte manquant » : documenter, puis compléter
Cinquième objection : « il me manque une pièce importante, je crains que mon dossier ne soit rejeté ». L’administration n’est pas dupe des aléas de l’état civil. Elle reconnaît l’existence d’archives détruites, de registres incomplets, de mentions illisibles. Ce qu’elle sanctionne, ce n’est pas la contrainte objective, c’est l’impréparation. Si un acte manque et que vous pouvez en expliquer la cause par un écrit d’une autorité publique, si vous pouvez produire les courriers de recherche, les réponses des dépôts d’archives, un acte substitutif ou concordant, vous n’êtes pas en défaut, vous êtes en diligence. Il ne s’agit pas d’« inventer » une chaîne, mais de montrer, par tous moyens honnêtes, que la chaîne existe et que vous avez mobilisé ce qui peut l’attester. Ensuite, vous compléterez. Et ce complément, déposé plus tard, viendra enrichir un dossier déjà introduit, pas tenter de forcer un guichet fermé.
Un mot sur la cohérence des identités : beaucoup de refus tiennent à des incohérences apparentes de prénoms, à des italianisations ou des francisations survenues au fil des décennies. En réalité, ces écarts sont parfaitement explicables et justifiables. L’important est de construire une narration probatoire claire, où l’on comprend pourquoi Giovanni est devenu Jean, pourquoi un accent a disparu, pourquoi une commune a changé de province.
Ce travail d’harmonisation se fait en amont du dépôt ; il se poursuit ensuite si une pièce nouvelle apporte un élément de précision. Ce n’est pas une faiblesse ; c’est la normalité d’un dossier transfrontalier.
XII. Trois portraits, trois vérités
Imaginez un homme de cinquante ans, petit-fils d’un Piémontais arrivé à Marseille dans les années 1950. Sa chaîne est presque complète ; il lui manque l’acte de mariage des arrière-grands-parents, quelque part entre Cuneo et Nice, dans un registre dont on dit qu’il a été déplacé après la guerre. Pendant un an, il s’est dit qu’il valait mieux attendre « encore un peu » que l’archive départementale réponde. Si cet homme dépose aujourd’hui avec un dossier bien monté et la preuve de ses recherches, il entre dans le système avec une date qui comptera demain. S’il attend encore, il s’exposera à un durcissement qui n’aura aucune mémoire de sa patience.
Imaginez une femme de trente-cinq ans, dont la chaîne passe par une mère mineure quand la grand-mère s’est naturalisée française. C’est typiquement un cas minor issue. Aujourd’hui, la circulaire la pousse vers la sortie. Mais demain, un arrêt des Sezioni Unite peut dire que cette lecture est trop dure. Si elle a déposé dès maintenant, elle pourra demander l’application de l’arrêt à son dossier. Si elle attend l’arrêt, elle se heurtera à un décret qui redéfinira des conditions et des délais pour l’avenir.
Imaginez enfin un couple qui voudrait « que tout soit lisse » avant de bouger, par peur de déranger. Ils ne veulent importuner ni consulat ni commune. Ils finiront par s’auto-exclure. Le jour où ils se décideront, ils se retrouveront derrière une ligne tracée précisément pour dissuader les nouveaux venus, avec des seuils, des délais, des critères d’éligibilité supplémentaires. Tout cela aurait pu être évité par un dépôt sérieux, non pas parfait, mais loyal, daté et traçable.
XIII. Après la reconnaissance : transcription, AIRE, passeport
Le but n’est pas la reconnaissance pour la reconnaissance. Le but, c’est le passeport. Une fois la citoyenneté reconnue, vos actes d’état civil sont transcrits dans les registres italiens ; vous êtes inscrit à l’AIRE, qui est le registre des citoyens italiens résidant à l’étranger. Cette inscription n’est pas un détail bureaucratique : elle permet la délivrance du passeport par le consulat de votre circonscription. Vous prenez rendez-vous, vous présentez vos documents, on vérifie votre identité et l’alignement de votre état civil, puis on vous délivre le passeport. C’est ce document qui vous permettra de vivre la promesse : circuler librement dans l’Union européenne en tant qu’Italien, vous installer en Italie sans formalités inutiles, transmettre à vos enfants une nationalité qu’ils comprendront d’abord par le geste le plus simple — celui d’ouvrir un passeport et d’y voir leur nom.
L’enchaînement est concret. Rien ne s’improvise, mais rien n’est ésotérique. Les difficultés existent, elles se résolvent. Et, à chaque étape, votre date de dépôt initiale joue comme un fil d’Ariane : elle rappelle d’où vous venez juridiquement, elle fonde vos prétentions quand l’administration hésite, elle sécurise votre trajectoire quand une modification législative intervient entre-temps.
XIV. Le calendrier : le droit bouge, l’identité demeure
Beaucoup demanderont : « dans combien de temps aurai-je mon passeport ? ». Il n’y a pas de réponse universelle. Le délai dépend du canal choisi, de la charge des offices, des pièces à compléter, des éventuels recours. Ce que l’on peut dire avec certitude, en revanche, c’est que le temps qui vous sépare de votre passeport ne commencera à s’écouler vraiment qu’au moment du dépôt. C’est à partir de là que l’on peut mesurer, relancer, compléter, contester.
Avant, on demeure dans l’intention. Il ne s’agit pas d’une formule ; c’est une réalité administrative universelle : la procédure ne connaît que ceux qui déposent. En période de mobilité juridique — comme celle que nous vivons — il est inutile de parier sur une hypothétique « fenêtre plus propice » demain. Demain, le droit sera peut-être plus clair, mais il ne sera pas forcément plus ouvert. Demain, les files seront plus longues. Demain, les instructions seront plus serrées. Demain, ce sera plus tard.
Ce réalisme n’a rien de déprimant. Il conduit simplement à séparer ce qui relève de votre pouvoir — agir, déposer, prouver — de ce qui n’en relève pas — l’heure exacte d’un arrêt, les références d’un décret, le tempo d’une conversion parlementaire. Dans l’incertitude, la seule stratégie qui respecte votre identité et votre projet consiste à verrouiller ce qui se verrouille : la date.
XV. Éthique et loyauté : ce que je peux vous promettre, ce que je ne promets pas
Je ne vous promets pas la magie. Je ne vous promets pas qu’un dossier fragile deviendra soudain lumineux parce qu’il porte un nom italien. Je ne vous promets pas d’influencer un calendrier judiciaire ni de deviner la teneur d’un futur décret. Je vous promets deux choses simples. D’abord, de dire ce qui est, non ce qu’on aimerait qu’il soit : aujourd’hui, l’accès par filiation est plus restreint, une interprétation administrative ferme beaucoup de portes, des contentieux ont des chances sérieuses de les rouvrir partiellement, et le pouvoir réglementaire pourra les refermer aussitôt pour les nouveaux venus. Ensuite, je vous promets que si votre dossier est sérieux, nous le ferons entrer dans le temps du droit par un dépôt daté, loyal, traçable, et qu’à partir de là, nous ferons ce que fait un avocat : défendre, relancer, compléter, contester, plaider. C’est la seule promesse digne : celle d’un effort rigoureux dans le cadre du jour.
Le reste — la fierté, l’émotion, l’idée de transmettre à vos enfants un passeport qui raconte vos dimanches, vos réminiscences de dialecte, vos recettes qu’on ne cuisine qu’à la maison — tout cela ne s’écrit pas dans un article. Cela se vit le jour où l’on vous remet le passeport, le jour où vous entrez dans une file à l’aéroport en citoyen italien, le jour où vous souriez en prononçant votre nom avec l’accent que portait votre grand-père.
Conclusion — Déposer maintenant, pour ne jamais dire « j’aurais dû »
La situation présente n’est pas un drame, c’est une décision à prendre. Pendant longtemps, l’Italie a reconnu ses enfants au-delà des frontières par une lecture généreuse du ius sanguinis. En 2025, l’État a resserré, l’administration a durci, un concept a fermé des dossiers. La justice, fidèlement, s’apprête à dire si ce durcissement a été trop loin et comment il doit s’entendre. Le Gouvernement, s’il le faut, réagira dans l’urgence pour « ajuster ». Tout cela dessine une ligne de temps très claire. Avant l’arrêt, les portes sont étroites. Après l’arrêt, elles s’ouvrent pour ceux qui sont déjà dans le couloir. Peu après, un décret vient remettre des verrous pour ceux qui voudraient entrer ensuite.
Dans ce ballet, il n’y a qu’un geste qui dépende de vous : déposer maintenant. Non pas pour « tenter un coup », mais pour revendiquer sereinement un droit qui vous revient par filiation. Non pas pour devancer autrui, mais pour honorer les vôtres. Non pas pour brandir un symbole vide, mais pour porter un document qui dit vrai : vous êtes italien. Et si demain d’autres mots seront écrits au Journal officiel, ils ne changeront pas la date qui figurera sur votre accusé de dépôt. Cette date est votre ligne de vie juridique. C’est elle qui vous permettra, étape après étape, d’arriver au guichet du passeport, de signer, et de tenir enfin entre vos mains ce que vous désiriez depuis le début : un passeport, point.
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