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L’acquisition de la nationalité italienne par mariage

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La nationalité est au cœur de l’identité d’un État et de ses ressortissants. Elle est à la fois un lien juridique, qui fonde l’appartenance à la communauté nationale, et un lien politique, qui conditionne l’exercice de droits fondamentaux comme la participation aux élections, l’accès aux fonctions publiques ou la transmission du statut civique aux descendants. La nationalité italienne est marquée par une histoire riche, traversée par des évolutions législatives profondes, reflet des transformations sociales, politiques et constitutionnelles du pays. Parmi les modes d’acquisition de cette nationalité, le mariage occupe une place particulière. Il illustre à lui seul la tension entre tradition patriarcale et modernité égalitaire, entre l’automaticité qui prévalait dans l’ancien droit et les exigences contemporaines d’intégration volontaire et de sincérité de l’union.



Le régime ancien : la loi de 1912 et l’automaticité


Pendant des décennies, l’acquisition de la nationalité italienne par mariage était régie par la loi n° 555 du 13 juin 1912. Ce texte, emblématique de l’époque, posait des principes aujourd’hui difficilement conciliables avec la notion moderne de citoyenneté. Il instaurait un système d’automaticité totale : la femme étrangère qui épousait un citoyen italien devenait immédiatement italienne, sans formalité ni condition supplémentaire, et la femme italienne qui épousait un étranger perdait sa nationalité et adoptait celle de son mari. Cette logique traduisait une conception patriarcale : l’épouse suivait la condition du mari, comme si son individualité juridique s’effaçait derrière celle de son conjoint.


Les conséquences de cette automaticité étaient considérables. D’une part, elles permettaient l’intégration rapide des étrangères épousant des Italiens, mais au prix de la liberté individuelle : aucune démarche volontaire n’était requise, aucune possibilité de refus n’était offerte. D’autre part, elles privaient brutalement les Italiennes de leur citoyenneté en cas de mariage avec un étranger, les exposant parfois à l’apatridie lorsque le pays du mari ne leur attribuait pas automatiquement sa propre nationalité. Ces situations dramatiques étaient fréquentes dans l’entre-deux-guerres et ont marqué des générations de femmes.


Ce système, en vigueur jusque dans les années 1970, est progressivement entré en contradiction avec les principes constitutionnels. La Constitution républicaine de 1948, en son article 3, consacre l’égalité de tous devant la loi, sans distinction de sexe. Son article 29 proclame l’égalité morale et juridique des conjoints dans le mariage. À partir de ce cadre constitutionnel, la logique de 1912 est apparue de plus en plus insoutenable.



Les premières remises en cause et l’arrêt constitutionnel de 1975


La Cour constitutionnelle italienne, saisie de la question, a commencé à corriger ces discriminations. L’arrêt n° 87 de 1975 est devenu célèbre : il a jugé que la perte automatique de la nationalité italienne par la femme qui épousait un étranger violait le principe d’égalité entre hommes et femmes. La Cour a ainsi fait tomber l’un des piliers du système patriarcal.


Mais cette décision n’avait pas d’effet rétroactif général : les Italiennes ayant perdu leur nationalité avant 1975 ne l’ont pas recouvrée automatiquement, mais elles pouvaient entreprendre des démarches pour la réacquérir.


Cet arrêt a ouvert une brèche. Désormais, le législateur était poussé à réformer la matière. La pression internationale a également joué un rôle : l’Italie, membre de la Communauté européenne et signataire de conventions sur l’égalité entre les sexes, devait adapter sa législation.



La loi de 1983 : la fin des automatismes et l’instauration d’un régime de demande


C’est avec la loi n° 123 du 21 avril 1983 que le législateur a profondément réformé l’acquisition de la nationalité par mariage. Cette loi a mis fin à l’automaticité. La femme étrangère qui épousait un Italien ne devenait plus italienne immédiatement : elle devait présenter une demande formelle. Le conjoint étranger pouvait ainsi, à partir de cette date, acquérir la nationalité italienne après six mois de résidence en Italie à compter du mariage, ou après trois ans de mariage si le couple résidait à l’étranger. Ce délai était réduit de moitié en cas de naissance ou d’adoption d’un enfant.


L’intérêt de ce nouveau système était double. D’une part, il instaurait une démarche volontaire, respectueuse de la liberté individuelle du conjoint étranger, qui n’était plus obligé d’endosser la nationalité italienne contre sa volonté. D’autre part, il permettait à l’administration de vérifier la stabilité du mariage et la réalité du lien conjugal avant d’attribuer la citoyenneté.


Les situations antérieures demeuraient néanmoins valides. Les femmes étrangères devenues italiennes automatiquement avant 1983 conservaient leur statut. Les Italiennes ayant perdu automatiquement leur citoyenneté avant la réforme ne la retrouvaient pas d’office, mais pouvaient désormais bénéficier de procédures de réintégration. Cette non-rétroactivité répondait au principe général de droit italien selon lequel la loi nouvelle n’affecte pas les situations juridiques parfaites.



La loi de 1992 : consolidation et modernisation du régime


La loi n° 91 du 5 février 1992, toujours en vigueur, a confirmé et affiné le régime instauré en 1983. Son article 5 dispose que le conjoint étranger ou apatride d’un citoyen italien peut acquérir la nationalité sur demande, à condition que, après le mariage, il réside légalement depuis au moins deux ans en Italie, ou que le couple soit marié depuis trois ans s’il réside à l’étranger. Ces délais sont réduits de moitié en cas d’enfant commun. Le système repose donc désormais sur des délais plus longs qu’en 1983, ce qui traduit une volonté accrue de prudence.


La loi de 1992 a également réorganisé l’ensemble du droit de la nationalité italienne, consacrant le principe du ius sanguinis comme critère fondamental, mais introduisant aussi des mécanismes d’acquisition par résidence, par naturalisation ou par adoption. L’acquisition par mariage y occupe une place spécifique, marquée par la volonté de concilier ouverture familiale et contrôle administratif.



Les conditions actuelles et les contrôles


Aujourd’hui, la demande de citoyenneté par mariage obéit à des conditions strictes. Le mariage doit être valide et transcrit dans les registres italiens. En cas de mariage célébré à l’étranger, la transcription auprès du Comune italien compétent est indispensable : sans elle, aucune demande n’est recevable. Le mariage doit subsister au moment de la demande et de la décision : une séparation légale ou un divorce rendent la demande irrecevable.


Le demandeur doit fournir une série de documents : acte de naissance intégral, traduit et légalisé ; extrait du casier judiciaire du pays d’origine et de tout pays de résidence antérieure ; certificat de mariage ; justificatifs de résidence en Italie ou preuve de la durée du mariage à l’étranger ; pièce d’identité ; RIB italien pour l’accréditation des frais ; certificat de langue italienne niveau B1 depuis 2018. À cela s’ajoute le paiement d’une contribution de 250 euros au ministère de l’Intérieur.


L’administration instruit le dossier avec rigueur. La préfecture mène une enquête sur la moralité du demandeur, la sincérité du mariage, l’absence de condamnations pénales graves et l’absence de danger pour la sécurité nationale. Le ministère de l’Intérieur conserve un pouvoir discrétionnaire d’appréciation, mais il doit motiver toute décision de refus. La procédure s’achève par un décret de concession signé par le ministre, suivi de la prestation de serment de fidélité à la République italienne devant l’officier d’état civil du Comune de résidence. Ce serment, prévu à l’article 10 de la loi de 1992, constitue l’acte final et nécessaire : sans lui, la citoyenneté n’est pas acquise.



Les délais et les réformes récentes


Initialement, la loi de 1992 prévoyait un délai de traitement de 24 mois. Dans la pratique, les délais ont souvent été beaucoup plus longs, en raison du volume croissant des demandes.

Le décret-loi n° 113/2018 a porté ce délai à 48 mois, suscitant de vives critiques. En 2020, le décret-loi n° 130 l’a ramené à 36 mois, mais cela reste considérable. La lenteur administrative est l’un des principaux obstacles rencontrés par les conjoints étrangers.


Depuis 2018, la réforme a aussi introduit une exigence linguistique : le demandeur doit prouver une connaissance de l’italien au moins équivalente au niveau B1 du CECRL. Ce contrôle vise à garantir une intégration minimale dans la société italienne, mais il a aussi suscité des débats. Certains y voient une exigence disproportionnée, surtout pour des conjoints âgés ou issus de pays où l’accès à l’apprentissage linguistique est limité.



Les situations transitoires et la jurisprudence constitutionnelle


La question des situations nées avant 1983 demeure complexe. Une étrangère devenue italienne automatiquement avant la réforme conserve ce statut. Une Italienne ayant perdu automatiquement sa nationalité avant 1983 n’a pas été rétablie d’office. Elle a pu, toutefois, se prévaloir des arrêts de la Cour constitutionnelle et des mécanismes de réacquisition. La jurisprudence a reconnu que la perte automatique fondée sur le mariage violait la Constitution, mais elle n’a pas annulé rétroactivement tous les effets passés. Cela explique que de nombreux descendants d’Italiennes aient encore aujourd’hui des litiges relatifs à la reconnaissance de la nationalité iure sanguinis.


Les juridictions administratives italiennes ont également précisé l’application du régime actuel. Elles exigent que tout soupçon de mariage simulé repose sur des preuves solides. Elles rappellent que l’administration doit motiver son refus et respecter le droit de défense du demandeur. Le Conseil d’État a sanctionné plusieurs refus jugés arbitraires.


La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que, bien que chaque État soit souverain pour définir les conditions d’octroi de sa nationalité, il doit respecter les principes fondamentaux du droit de l’Union, notamment la libre circulation et la non-discrimination. Le traitement de ces demandes doit donc se faire dans le respect du droit européen.



Les enjeux pratiques et humains


Au-delà du droit, la citoyenneté par mariage revêt une dimension humaine et sociale. Elle permet au conjoint étranger de partager pleinement la vie civique de son époux italien, de voter, de travailler sans restriction, de transmettre la nationalité à ses enfants. Elle est aussi un vecteur d’intégration dans la communauté italienne et européenne.


Mais cette voie d’accès à la nationalité est aujourd’hui longue, coûteuse et exigeante. Les délais administratifs, la lourdeur des documents requis, la difficulté de prouver certains casiers judiciaires à l’étranger ou de réunir des actes d’état civil anciens constituent des obstacles réels. La contribution de 250 euros et les frais de traduction et de légalisation peuvent également représenter un fardeau financier. Enfin, l’exigence linguistique récente a ajouté une barrière supplémentaire.


Malgré cela, le régime italien reste relativement accessible comparé à d’autres États européens. En Espagne, par exemple, le conjoint étranger doit attendre un an de résidence légale avant de demander la nationalité, mais la procédure reste marquée par une forte lenteur. En France, le conjoint étranger peut demander la naturalisation après quatre ans de mariage (ou trois ans s’il a résidé au moins trois ans en France). Ces comparaisons montrent que l’Italie a choisi une voie intermédiaire : ni trop rapide, ni trop fermée, mais marquée par une volonté de contrôle et de prudence.



Conclusion


L’acquisition de la nationalité italienne par mariage a connu une évolution profonde. D’un système automatique et discriminatoire hérité de la loi de 1912, où la femme suivait la condition de son mari, on est passé à un système de demande volontaire en 1983, puis à un régime consolidé en 1992, marqué par des délais et des contrôles. Les réformes récentes ont encore renforcé l’exigence d’intégration linguistique et allongé les délais administratifs.


Aujourd’hui, la nationalité par mariage n’est plus une conséquence immédiate du lien conjugal, mais une procédure exigeante, longue et encadrée, qui vise à vérifier la stabilité de l’union et l’intégration du conjoint. Les situations anciennes demeurent toutefois sources de litiges, preuve que les effets du système antérieur continuent de se faire sentir.


En définitive, ce parcours illustre la transformation du droit italien de la nationalité : d’une logique patriarcale et automatique à une logique de choix individuel et d’intégration progressive. Pour les conjoints étrangers d’Italiens, il représente une étape importante de leur vie familiale et civique, mais aussi une épreuve administrative qui requiert patience, préparation et persévérance.

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