Réf. : CE 3e et 8e ch. réunies, 26 avril 2024, n° 466062, mentionné aux tables du recueil Lebon
Introduction
La liberté d'établissement est un principe fondamental du droit communautaire européen, mais son application dans le cadre des règles fiscales nationales peut parfois soulever des questions complexes. Un récent arrêt du Conseil d'État français, daté du 26 avril 2024, illustre bien ces enjeux. Cet article examine la décision relative à l'impossibilité pour une société mère d'un groupe fiscalement intégré de déduire les pertes de ses filiales non-résidentes, en se basant sur le cas d'une succursale luxembourgeoise.
Contexte Juridique
En vertu des articles 1844 et 1844-10 du Code civil français et L. 227-16 du Code de commerce, les statuts d'une société peuvent prévoir l'exclusion d'un associé par une décision collective des associés. Cependant, toute stipulation visant à priver l'associé menacé de son droit de vote est réputée non écrite. Ce principe a été appliqué dans le cas de l'imputation des pertes de filiales non-résidentes par la société mère.
Les Faits
Une société mère française d’un groupe fiscalement intégré a tenté d’imputer sur le résultat de l’une de ses filiales les pertes définitives subies par une succursale luxembourgeoise de cette filiale. Cette demande a été initialement acceptée par le tribunal administratif de Montreuil, mais rejetée en appel par la cour administrative d'appel de Versailles. La société mère a alors porté l'affaire devant le Conseil d'État.
Décision du Conseil d'État
Le Conseil d'État a jugé que les stipulations de la convention franco-luxembourgeoise de 1958 et le principe de territorialité de l’impôt empêchent la déduction des pertes d’exploitation subies par une succursale luxembourgeoise du bénéfice imposable en France. Si la succursale avait été établie en France, une telle imputation aurait été possible.
Jurisprudence Européenne
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a établi que les législations nationales peuvent exclure la déduction des pertes subies par des filiales non-résidentes, sauf si ces pertes ne peuvent être prises en compte ni dans l'État de résidence actuel ni dans aucun autre exercice fiscal futur (affaire Marks & Spencer plc c/ David Halsey). Le Conseil d'État s'est référé à cette jurisprudence pour confirmer que la différence de traitement n'est pas constitutive d'une entrave à la liberté d'établissement si elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables.
Implications de la Convention Fiscale Franco-Luxembourgeoise
L'article 4 de la convention fiscale de 1958 stipule que les revenus des entreprises ne sont imposables que dans l'État où se trouve un établissement stable. Ce principe de territorialité empêche la société mère française de déduire les pertes de sa succursale luxembourgeoise.
Conclusion
L'arrêt du Conseil d'État du 26 avril 2024 réaffirme le principe selon lequel une société mère française ne peut déduire les pertes de ses filiales non-résidentes de son bénéfice imposable en France. Cette décision souligne l'importance de la territorialité de l'impôt et la non-comparabilité des situations entre filiales résidentes et non-résidentes pour la déduction des pertes. Elle reflète également la conformité avec la jurisprudence européenne sur la liberté d'établissement et les mesures fiscales nationales.
Comments