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La captation d’héritage : une manœuvre insidieuse aux lourdes conséquences juridiques

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Dans le cadre des successions, il n’est pas rare que surgissent tensions, suspicions, voire accusations de manœuvres frauduleuses visant à priver certains héritiers de leurs droits. L’un des griefs les plus graves en la matière est celui de captation d’héritage. Si l’expression appartient au langage courant, elle recouvre une réalité juridique complexe, que la jurisprudence encadre sans pour autant toujours la nommer ainsi. Explications.



1. Qu’est-ce que la captation d’héritage ?


La "captation d’héritage" désigne l’ensemble des manœuvres psychologiques, affectives ou matérielles par lesquelles une personne — souvent un proche, un soignant, un voisin, un héritier — cherche à obtenir au détriment d’autres bénéficiaires une part de l’héritage, par le biais de dons ou de dispositions testamentaires.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’un concept défini dans le Code civil. Toutefois, le droit français sanctionne ces pratiques sous diverses qualifications juridiques, notamment :

  • l’abus de faiblesse (art. 223-15-2 du Code pénal),

  • le dol dans la rédaction du testament (art. 901 et s. du Code civil),

  • l’insanité d’esprit du testateur (art. 901 C. civ.),

  • l’indignité successorale (art. 726 C. civ.),

  • le détournement d’actif ou recel successoral.


Exemple courant :


Un soignant ou une aide à domicile pousse une personne âgée à rédiger un testament en sa faveur, en entretenant une relation d’exclusivité affective, en dénigrant les héritiers légitimes ou en la coupant de son entourage.



2. Quels sont les signes ou indices de captation ?


La jurisprudence examine avec attention les circonstances entourant la rédaction du testament ou de la donation, afin de détecter d’éventuelles pressions. Parmi les indices révélateurs :

  • L’isolement du défunt dans les mois précédant sa mort ;

  • Un changement soudain ou tardif des dispositions testamentaires ;

  • La désignation d’un tiers sans lien familial comme légataire universel ;

  • La vulnérabilité du testateur (maladie, dépendance, âge avancé, affaiblissement psychique) ;

  • L’intervention d’une même personne dans tous les actes (notaire, médecin, témoin, etc.) ;

  • L’absence de consultation des enfants ou héritiers naturels.



3. Quelle preuve faut-il rapporter ?


En matière de captation, la charge de la preuve pèse sur celui qui conteste l’acte (art. 1315 ancien, 1353 C. civ. nouveau). Cela suppose souvent de démontrer :

  • L’absence de discernement du testateur au moment de l’acte (par expertises médicales, témoignages, certificats médicaux) ;

  • La pression ou les manœuvres frauduleuses exercées par le bénéficiaire de l’acte ;

  • La rupture avec les intentions antérieures du défunt.


⚠️ L'expertise médicale post-mortem, bien que difficile, peut être demandée pour éclairer la lucidité du défunt au moment de l’acte contesté. Une telle expertise peut notamment porter sur les documents médicaux du défunt.




4. Quelles sont les voies de recours ?


a. Action en nullité du testament ou de la donation

Fondée sur l’article 901 du Code civil, cette action suppose de démontrer que le testateur n’était pas sain d’esprit, ou que son consentement a été vicié.


b. Action en réduction

Permet aux héritiers réservataires de faire respecter leur réserve héréditaire si une libéralité excessive a été consentie (art. 920 et s. C. civ.).


c. Action en recel successoral

Si un héritier détourne volontairement une part de la succession en dissimulant un acte ou un bien, il peut être privé de sa part sur ce bien (art. 778 C. civ.).


d. Plainte pénale pour abus de faiblesse

Si la captation s’est faite par manœuvres sur une personne vulnérable (âge, maladie, dépendance), le bénéficiaire peut être poursuivi pénalement (3 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende – art. 223-15-2 C. pénal).



5. Quelle est la position des tribunaux ?


La jurisprudence reste prudente, car le droit au testament est un droit fondamental, et chacun peut léguer à qui il souhaite. Toutefois, la Cour de cassation a déjà annulé des testaments au profit de personnes ayant profité de la faiblesse du testateur, ou d’un isolement organisé (Cass. civ. 1re, 6 mars 2013, n° 11-27.515 ; Cass. civ. 1re, 2 oct. 2013, n° 12-21.344).

Les juges examinent au cas par cas l’environnement familial, les relations du défunt avec les bénéficiaires, les modifications tardives des dispositions, et les rapports d’expertise médicale ou psychiatrique.



6. Comment prévenir la captation ?


La meilleure prévention est l’information et l’accompagnement :

  • Encourager le recours à un notaire pour toute libéralité ;

  • Multiplier les témoins de l’intention du défunt ;

  • Prévoir des testaments authentiques (plus difficilement contestables qu’un testament olographe) ;

  • Conserver des documents médicaux attestant de la lucidité ;

  • Maintenir des liens réguliers avec les personnes âgées de la famille.



En conclusion, la captation d’héritage est une réalité insidieuse, mais difficile à prouver. Elle nécessite un travail d’enquête juridique et humaine, mêlant éléments médicaux, témoignages, et reconstitution du contexte psychologique du défunt. Si vous êtes confronté à un testament suspect ou à une libéralité abusive, n’hésitez pas à consulter un avocat pour envisager une action en nullité ou une plainte pénale.

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