Acheter un appartement avec des stablecoins : prouesse fintech ou bombe fiscale ?
- Rodolphe Rous
- 23 mai
- 4 min de lecture

Le buzz est là : après avoir succombé aux villas flashy payées en bitcoin à Dubaï, les agents immobiliers parisiens voient arriver des acheteurs qui proposent USDT ou EUR-stable plutôt qu’un virement traditionnel. Le marketing promet une transaction “plus rapide, moins chère, sans banque”. Pourtant, dès qu’on soulève le tapis, le dossier se révèle infiniment plus dense : lutte anti-blanchiment, TVA, fiscalité des plus-values, déclarations TRACFIN, portée de la nouvelle réglementation MiCA … Rien qu’en France, un achat “crypto-immobilier” mobilise simultanément le Code monétaire et financier, le CGI, la directive anti-blanchiment (UE) 2018/843, et maintenant le règlement (UE) 2023/1114 sur les crypto-actifs.
De la promesse « on paie sans intermédiaire »… à l’obligation KYC XXL. Le notaire français ne peut établir l’acte définitif que si les fonds et leur origine sont parfaitement identifiés. Un stablecoin (USDC, EURCV, etc.) n’est qu’un jeton représentant une créance sur l’émetteur ; pour libérer le prix, il faut :
prouver que l’émetteur est lui-même régulé (agrément MiCA ou, avant 2024, régime PSAN + enregistrement ACPR pour l’intermédiation) ;
tracer l’historique des jetons depuis l’acquisition initiale (analysis chain, déclarations de comptes d’actifs numériques articles 1649 bis C et ter CGI) ;
convertir in fine en euros déposés sur le compte séquestre du notaire — car l’officier public ne peut conserver d’actifs numériques.
Au lieu de fluidifier la vente, on cumule donc : KYC français du notaire, due diligence “Travel Rule” côté plateforme d’échange, et parfois le contrôle d’un « Virtual Asset Service Provider » étranger relevant d’un régime plus souple. Autant dire que les délais s’allongent.
Quel impôt au moment de l’achat ? Pour un résident français, céder des stablecoins – même indexés à l’euro – constitue une « cessation d’actifs numériques » au sens de l’article 150 VH bis CGI : la plus-value latente entre la valeur d’acquisition du jeton et celle constatée le jour du paiement est imposée à 12,8 % + 17,2 % de prélèvements sociaux, sauf si vous êtes dans l’activité professionnelle (BIC/BNC) et au réel. Autrement dit, celui qui a acheté 100 000 € de USDT lorsque l’euro valait 0,95 $ devra calculer et déclarer son écart de change. À défaut : majoration de 40 % pour manquement délibéré en cas de contrôle.
TVA : un piège presque invisible. Dans une vente d’immeuble neuf, le prix affiché est « TTC » ; la TVA (20 %) doit être payée en euros au Trésor. Si l’acheteur règle en stablecoins, leur montant doit intégrer la TVA mais surtout être libellé en euros dans l’acte, avec un cours de conversion référencé. Une variation des cours entre le dépôt d’acte et la mutation peut entraîner un complément de TVA… ou un redressement en cas de sous-évaluation.
Blanchiment & TRACFIN : priorité absolue. L’article L.561-2 CMF impose aux notaires, agents immobiliers, avocats et banquiers une vigilance renforcée pour les opérations en crypto-actifs ; TRACFIN classe les paiements en stablecoins comme « facteur de risque accru ». Le simple fait d’utiliser une bourse non enregistrée en France peut déclencher une déclaration de soupçon. Dans la pratique, les délais bancaires qu’on croyait contournés ressurgissent : sans avis favorable TRACFIN, impossible d’éditer l’attestation de provenance des fonds.
Acheter via une société crypto ou une DAO ? Créer une société à Dubaï ou au Delaware, capitaliser en stablecoins, puis acheter un appartement français paraît séduisant ; pourtant :
La société, si dirigée de France, est réputée résidente française (art. 209 CGI) ; l’IS français s’applique.
Un paiement de dividendes en tokens à l’associé résident français déclenche la flat tax.
Si la structure réalise ensuite une location meublée, elle doit la déclarer en BIC, tenir une comptabilité française, et répondre aux obligations LCB-FT équivalentes.
Un exemple concret. Camille, influenceuse française installée à Lisbonne, encaisse 500 000 USDC via une plateforme régulée. Elle veut acheter un T3 parisien 480 000 € net vendeur (soit ~520 000 € frais inclus). Conversion au comptant : 1 USDC ≈ 0,92 €.– Plus-value déclarable ? Nulle : USDC acquis au pair.– TVA ? Aucune : bien ancien.– TRACFIN ? Oui : double déclaration par la plateforme et le notaire, compte tenu de l’origine crypto.– Après conversion en euros, la banque demande l’historique chainalysis ; deux adresses identifiées comme “mixer” apparaissent : blocage des fonds le temps de la levée de doutes. Résultat : trois mois de délai supplémentaire.
Les nouveaux garde-fous MiCA. Dès la fin 2024, MiCA impose à tout émetteur de stablecoins libellés en euros d’obtenir un agrément d’établissement de monnaie électronique (EMI) dans l’UE. En théorie, donc, un “euro-stable” conforme MiCA fait baisser le risque AML. Mais tant que la liquidité se concentre hors zone euro, la filière de conversion restera plus opaque que les transferts bancaires SEPA.
Conclusion : rapidité marketing, lenteur juridique. Payer un appartement en stablecoins séduit les early adopters ; dans les faits, ils se heurtent à quatre murs : fiscalité française implacable sur la plus-value, TVA à recalculer, vigilance TRACFIN renforcée, et réglementation MiCA naissante qui impose des intermédiaires plus nombreux – donc plus de frais et de délais. Autant dire que, pour l’instant, « l’achat immatériel instantané » relève plus de la vitrine que de la routine.
Notre cabinet a déjà accompagné plusieurs transactions crypto-immobilières : audit fiscal préalable, vérification AML/KYC, structuration sociétaire, rapport de traçabilité blockchain pour TRACFIN. Avant d’apparaître dans un article branché, mieux vaut s’assurer que l’acte authentique ne se transformera pas, trois ans plus tard, en avis de mise en recouvrement.
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