Le régime fiscal italien des impatriés (regime degli impatriati)
- Rodolphe Rous
- 29 août
- 6 min de lecture

Le droit fiscal italien a connu depuis une quinzaine d’années une série de réformes majeures destinées à renforcer l’attractivité du territoire et à attirer des contribuables à haut potentiel économique, scientifique ou sportif. Parmi ces dispositifs, le régime des impatriés (regime degli impatriati) occupe une place centrale. Inspiré des modèles existants dans d’autres pays européens – notamment en Espagne avec le régime dit “Beckham” ou en France avec le régime de l’article 155 B du Code général des impôts – ce mécanisme vise à offrir un avantage fiscal massif aux personnes qui transfèrent leur résidence fiscale en Italie.
L’Italie, traditionnellement marquée par un poids fiscal élevé et une bureaucratie complexe, a choisi de faire de ce régime un levier de compétitivité. Les lois de finances successives, de 2017 à 2024, ont progressivement élargi, puis resserré, le champ de ce régime, en fonction des arbitrages politiques entre attractivité économique et équité fiscale.
Fondement légal et évolution du régime
Le régime des impatriés trouve sa source dans le décret législatif n°147 du 14 septembre 2015 (souvent appelé Decreto internazionalizzazione), lequel introduisait une première incitation pour les travailleurs hautement qualifiés revenant en Italie.
La Loi de finances pour 2017 a renforcé ce dispositif en introduisant à l’article 16 du décret législatif 147/2015 le régime désormais connu sous le nom de regime degli impatriati. Ce texte a été modifié par plusieurs lois de finances ultérieures, notamment celles de 2019, 2020, 2022 et 2024.
La réforme de 2019 a permis d’étendre le bénéfice du régime à un plus grand nombre de contribuables, avec un taux d’exonération de 70 % (et 90 % pour le Mezzogiorno). Mais la Loi de finances pour 2024 (Legge di bilancio 2024) est venue restreindre le champ du régime, afin d’en limiter le coût budgétaire et d’éviter certains effets d’aubaine, notamment pour les sportifs professionnels.
Aujourd’hui, le texte de référence demeure l’article 16 du décret législatif 147/2015, tel que modifié en dernier lieu.
Les conditions d’accès au régime
Pour bénéficier de ce régime, le contribuable doit satisfaire à un faisceau de conditions cumulatives.
D’abord, il doit transférer sa résidence fiscale en Italie, au sens de l’article 2 du TUIR (Testo Unico delle Imposte sui Redditi). L’article 2 §2 TUIR considère comme résident fiscal toute personne qui, pendant plus de 183 jours par an, est inscrite au registre de la population résidente (Anagrafe), a son domicile civil en Italie (au sens de l’article 43 du Code civil italien : siège principal des affaires et intérêts), ou y a sa résidence habituelle.
Ensuite, le contribuable ne doit pas avoir été résident fiscal italien au cours des deux années précédant son retour. Cette exigence vise à réserver le régime aux véritables “rapatriés” ou “nouveaux arrivants”.
Il doit par ailleurs s’engager à rester résident fiscal en Italie au moins deux ans. Une sortie prématurée entraînerait la remise en cause du régime.
Enfin, le bénéficiaire doit exercer en Italie une activité professionnelle effective : soit une activité salariée, soit une activité indépendante, soit une activité d’entreprise. Le cœur de l’activité doit être localisé sur le territoire italien.
Des conditions particulières existent pour certaines catégories. Ainsi, les chercheurs et enseignants bénéficient d’un régime encore plus favorable, issu de l’article 44 du décret-loi n°78/2010, avec une exonération de 90 % pendant six ans, prolongeable jusqu’à douze ans.
Le mécanisme de l’exonération
Le principe du régime des impatriés est simple : une large part des revenus d’activité produits en Italie est exonérée d’impôt sur le revenu (IRPEF) et des surtaxes locales.
Dans sa version actuelle, l’article 16, §1 du D.Lgs. 147/2015 prévoit que 70 % des revenus sont exonérés. Autrement dit, seule une fraction de 30 % reste imposable selon le barème progressif de l’IRPEF.
L’avantage est encore plus fort pour les contribuables qui s’installent dans le Mezzogiorno (Abruzzes, Molise, Campanie, Pouilles, Basilicate, Calabre, Sardaigne et Sicile). Dans ce cas, l’exonération atteint 90 %, et seulement 10 % du revenu est imposable.
Exemple chiffré
Un cadre impatrié percevant en Italie un salaire annuel brut de 100.000 € sera imposé seulement sur 30.000 €. Avec un barème moyen d’IRPEF de 35 %, son impôt effectif sera d’environ 10.500 €, soit une charge fiscale réelle de 10,5 % du revenu. Si ce même cadre s’installe à Naples ou Palerme, dans le Mezzogiorno, son revenu imposable tombe à 10.000 €, et l’impôt dû à environ 3.500 €, soit une charge effective de 3,5 %.
Cet avantage est considérable dans un pays où l’imposition ordinaire peut rapidement dépasser 43 % pour les revenus supérieurs à 50.000 €.
Durée du régime et prolongations possibles
Le régime est applicable pendant une durée de cinq ans à compter du transfert de la résidence fiscale.
Une prolongation de cinq années supplémentaires est prévue si le contribuable satisfait à certaines conditions, notamment :
avoir un enfant mineur à charge au moment du transfert ou en avoir un au cours des cinq premières années ;
ou acquérir un bien immobilier en Italie, utilisé comme résidence principale, par le contribuable ou son conjoint.
Dans ce cas, le taux d’exonération est réduit : 50 % sur le territoire national (au lieu de 70 %) et 90 % dans le Mezzogiorno (au lieu de 90 %, ce taux étant maintenu).
Ainsi, un contribuable peut bénéficier d’une réduction d’impôt significative pendant une période pouvant aller jusqu’à dix ans.
Catégories spécifiques : chercheurs, enseignants et sportifs
Le régime italien a prévu des déclinaisons particulières pour certains profils.
Les chercheurs et enseignants bénéficient, en vertu de l’article 44 du D.L. 78/2010, d’une exonération de 90 % des revenus pour une durée de six ans, pouvant être portée jusqu’à douze ans si certaines conditions sont remplies (présence d’enfants, acquisition d’un logement, etc.).
Les sportifs professionnels, notamment les footballeurs, ont longtemps profité de ce régime de façon spectaculaire. Un joueur recruté par un club italien pouvait voir son salaire net largement augmenté grâce à l’exonération fiscale. La Loi de finances 2019 a donc introduit un plafonnement et un système de contribution spécifique, afin de limiter l’effet d’aubaine. La Loi de finances 2024 a renforcé ces limitations, en conditionnant plus strictement l’accès des sportifs au régime.
Les réformes récentes et les critiques
Le régime des impatriés a été critiqué pour son coût budgétaire et son effet de distorsion, notamment au profit de hauts revenus.
La Loi de finances 2024 a introduit plusieurs restrictions, afin de réserver le régime à ceux qui apportent une réelle contribution économique au pays. Désormais, il est expressément prévu que seuls les revenus d’activité effectivement produits en Italie entrent dans le champ de l’exonération, et que le transfert de résidence doit être réel et durable.
Ces ajustements visent à réduire les abus, mais le régime demeure l’un des plus généreux d’Europe.
Comparaison avec le régime français des impatriés
La France connaît également un régime d’impatriation, prévu à l’article 155 B du Code général des impôts.
Celui-ci accorde, pendant une durée de huit ans maximum, une exonération d’impôt sur le revenu sur la prime d’impatriation et, sous conditions, sur une fraction des revenus de source étrangère.
Contrairement au système italien, l’exonération française ne porte pas sur la quasi-totalité du revenu, mais uniquement sur certaines composantes, avec une complexité plus grande. L’avantage français est donc plus limité, ce qui explique que le régime italien attire davantage de contribuables internationaux.
Articulation avec les conventions fiscales internationales
Pour les contribuables venant de France, la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989 est applicable. Cette convention prévoit la répartition du droit d’imposer entre les deux États et évite les doubles impositions.
Ainsi, un salarié français transférant sa résidence fiscale en Italie sera imposé en Italie sur ses revenus d’activité, mais la France, en vertu de la convention, ne pourra pas les imposer à nouveau. En revanche, certains revenus de source française (immobiliers, dividendes, etc.) pourront rester imposés en France, avec un crédit d’impôt imputable en Italie.
Les démarches pratiques pour bénéficier du régime
Pour bénéficier du régime, le contribuable doit :
transférer sa résidence fiscale en Italie et s’enregistrer à l’Anagrafe della popolazione residente ;
déclarer son option pour le régime des impatriés dans sa première déclaration annuelle de revenus en Italie (formulaire Modello Redditi PF), en cochant la case correspondante à l’art. 16 D.Lgs. 147/2015 ;
conserver les justificatifs prouvant qu’il n’était pas résident fiscal italien au cours des deux années précédentes ;
respecter l’engagement de résidence d’au moins deux ans.
Conclusion
Le régime fiscal italien des impatriés est l’un des dispositifs les plus attractifs d’Europe. En exonérant 70 % des revenus d’activité (et jusqu’à 90 % dans le Mezzogiorno), il permet une imposition effective très faible pendant cinq ans, prolongeable à dix ans.
S’il a été restreint par la Loi de finances 2024, il demeure un outil puissant d’attraction fiscale, notamment pour les cadres, chercheurs et investisseurs souhaitant s’installer en Italie.
Pour un contribuable français envisageant une mobilité vers l’Italie, ce régime doit être étudié en articulation avec la convention fiscale franco-italienne, afin de sécuriser le transfert de résidence et d’éviter les risques de double imposition.
En pratique, l’accompagnement par un professionnel du droit fiscal est essentiel pour sécuriser l’accès au régime, optimiser son bénéfice et respecter les obligations déclaratives.
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