L’« interpello » italien : le rescrit fiscal au service de la sécurité juridique des contribuables internationaux
- Rodolphe Rous
- 18 juil.
- 7 min de lecture

« Chiara e stabile deve essere la legge tributaria; ma ove permangano dubbi, l’Amministrazione è tenuta a dissiparli prima che il contribuente agisca. » (Exposé des motifs de la loi 212/2000, Statuto dei diritti del contribuente)
I. Pourquoi un billet sur l’« interpello » ?
Lorsqu’un client français songe à transférer sa résidence fiscale en Italie, à y lancer une activité commerciale ou à réorganiser son patrimoine familial, la première inquiétude est souvent la même : la règle sera‑t‑elle appliquée comme je la comprends ? Les lecteurs de ce blog connaissent déjà l’outil français du rescrit – codifié à l’article L. 80 B du Livre des procédures fiscales – grâce auquel on obtient une réponse opposable de l’administration avant d’engager une opération.
L’Italie dispose, depuis 2000, d’un équivalent tout aussi robuste : l’interpello. À la faveur d’une réforme profonde en 2023, puis de la loi de finances 2025, le dispositif est devenu l’un des plus rapides de l’Union européenne : délai standard 90 jours, silenzio‑assenso généralisé et frais administratifs plafonnés à 250 €. Décryptage complet, à la lumière des textes et de mon expérience – car, chaque année, j’accompagne plusieurs expatriations et investissements transalpins où l’interpello fait la différence.
II. Genèse et fondements juridiques
Le socle se trouve à l’article 11 de la loi n° 212 du 27 juillet 2000, dit Statuto dei diritti del contribuente ; l’interpello y est proclamé comme un droit subjectif : « il contribuente può interpellare l’amministrazione finanziaria » ; la réponse, écrite, « vincola l’amministrazione » – elle la lie, tant que les faits restent identiques agenziaentrate.gov.it. Inspiré par la “advance ruling practice” anglo‑saxonne et poussé par la Cour de justice de l’UE, le législateur italien a voulu assurer la prévisibilité de l’impôt et renforcer la confiance. Entre 2003 et 2015, plusieurs décrets ont égrené des sous‑catégories d’interpello, au point que le paysage était devenu fragmenté.
Le décret législatif 156/2015 a opéré la première consolidation : quatre familles – ordinaire, probatorio, anti‑abuso, disapplicativo – clairement définies et assorties de délais (60 ou 90 jours) agenziaentrate.gov.it.
Puis, avec l’ouverture de l’Italie aux investisseurs étrangers, le D.Lgs 147/2015 (article 2) a créé l’interpello nuovi investimenti, dédié aux projets ≥ 20 millions d’euros agenziaentrate.gov.it.
Enfin, la grande réforme fiscale de Giorgia Meloni s’est poursuivie avec le D.Lgs 219/2023, lequel a unifié la plupart des délais à 90 jours, généralisé le silenzio‑assenso et préparé la digitalisation complète du service taxnews.it.
III. Les cinq grandes catégories en 2025
1. Interpello ordinario
C’est l’outil de référence : lorsqu’un contribuable doute de l’interprétation d’une norme ou de son application à son cas, il interroge l’Agenzia delle Entrate. La réponse vaut pour la situation décrite, protège contre toute sanction et s’impose aux bureaux locaux agenziaentrate.gov.it.
2. Interpello probatorio
Ici, l’intéressé ne cherche pas une interprétation, mais la certification de l’existence d’un fait ou d’une condition. Exemple fréquent : un micro‑entrepreneur qui demande la confirmation qu’il respecte bien le plafond de chiffre d’affaires pour rester sous régime forfettario.
3. Interpello anti‑abuso
Introduit pour l’application de la clause anti‑abus générale (article 10‑bis Statuto), il permet d’obtenir à l’avance la garantie qu’une opération donnée ne sera pas requalifiée comme abusive. Délai : 60 jours, silenzio‑assenso.
4. Interpello disapplicativo
Unique catégorie obligatoire : on s’adresse à l’administration pour lever l’application d’une norme pénalisante (ex. la présomption de société de façade). La réponse et le silence positif interviennent en 60 jours.
5. Interpello sui nuovi investimenti
Destiné aux projets d’au moins 20 M €, il porte sur tous les aspects fiscaux du plan d’affaires. L’avis rendu lie l’administration pendant une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans ; il n’existe pas de silence automatique : une réponse expresse est obligatoire Mysolution.
IV. La réforme 219/2023 : trois avancées majeures
Uniformisation des délais : quelle que soit la catégorie (hors nouveaux investissements), le délai de droit commun est désormais fixé à 90 jours à compter du dépôt, suspendu en août et pendant la phase de complément d’information (max. 60 jours) taxnews.it.
Silence valant accord : si l’administration se tait, la solution proposée est réputée acceptée. Cela sécurise de facto les contribuables lorsque des complexités internes allongent les circuits de signature.
Digitalisation et coût unique : une plateforme en ligne est opérationnelle depuis janvier 2025 ; le dépôt requiert un paiement forfaitaire de 250 € via formulaire F24, quel que soit le dossier normattiva.it.
V. Procédure pratique pas à pas
1. Préparation du dossier
Le mémoire doit exposer les faits de manière exhaustive, indiquer nom, code fiscale, adresse PEC, citer les dispositions pertinentes et surtout proposer une solution juridique motivée. L’omission d’un fait matériel – même jugé secondaire – peut entraîner la caducité de l’avis.
2. Dépôt
Le document est envoyé :
par PEC à la Direzione regionale compétente,
ou par recommandé A/R.Les pièces jointes (statuts, comptes, projets de contrat) doivent être paginées et signées électroniquement. Le dépôt génère un protocollo daté ; c’est ce repère qui fait courir le délai de 90 jours.
3. Phase de « integrazione documentale »
Si des précisions sont nécessaires, l’administration notifie une demande ; le contribuable dispose de 30 jours pour répondre ; le compteur est suspendu et repart à réception.
4. Réponse ou silence
La réponse est notifiée par PEC et publiée (anonymisée) sur le site de l’Agenzia ; en cas de silence, l’acceptation tacite vaut au lendemain du terme. La doctrine de la Corte di Cassazione confirme qu’il s’agit d’un acte créateur de droits ; un redressement ultérieur serait nul.
VI. Portée contraignante et limites
La réponse lie uniquement l’administration vis‑à‑vis du demandeur, pas les tribunaux. Mais en pratique, sauf fraude ou changement législatif, la sécurité est forte. Le contribuable reste tenu :
de s’auto‑évaluer ; si la situation de fait change, il doit solliciter un nouvel interpello.
d’indiquer, dans sa déclaration de revenus, qu’il bénéficie d’un avis favorable ; à défaut, les pénalités pour insuffisance de déclaration s’appliquent.
VII. Le cas particulier du régime forfettario
La loi de finances 2025 a porté de 30 000 € à 35 000 € le seuil de revenus salariaux ou de pension au‑delà duquel on ne peut plus bénéficier du taux fixe de 15 % (ou 5 %) ; un micro‑entrepreneur déjà pensionné a donc tout intérêt à sécuriser par interpello probatorio la composition exacte de ses revenus de l’année N‑1 avant de s’inscrire. Cet usage est courant, la réponse liant l’administration pour l’année fiscale à venir Fisco e Tasse.
VIII. « Nouveaux investissements » : un ruling à 360 °
Pour un projet immobilier ou industriel de plus de 20 M €, l’Italie offre un ruling préalable : au moyen de l’interpello nouveaux investissements, l’investisseur décrit le business plan, les flux intragroupe, la structure de financement et obtient un panorama fiscal complet (TVA, droits d’enregistrement, prix de transfert, retenues à la source). Les réponses sont préparées par un comité ad hoc, souvent en 90‑120 jours. Les grandes entreprises françaises de la mode ou de l’énergie y ont largement eu recours agenziaentrate.gov.it.
IX. Comparaison avec le rescrit français
Aspect | Rescrit L. 80 B (France) | Interpello (Italie) |
Délai légal | 3 mois (+ 1 mois) IR ; 6 mois Rescrit « valeur » | 90 jours (+ suspension) |
Silence | Valant rejet | Valant acceptation (sauf invest.) |
Frais | Gratuit | 250 € |
Publication | Non | Oui, anonymisé |
Force | Lie l’administration | Lie l’Agenzia (et nullité du redressement contraire) |
Le silence positif italien est un atout majeur : l’absence de réponse dans le délai vaut approbation.
X. Illustration pratique : l’expatriation de M. Martin
Prenons le dossier de M. Martin : retraité français envisageant un transfert à Latina, création d’une micro‑activité commerciale et budget de vie de 150 k €/an. Ses interrogations :
Éligibilité au régime pensionnés 7 % s’il déménage à Posta Fibreno (commune de moins de 20 000 hab. en zone à fiscalité privilégiée).
Compatibilité entre pension française, loyers français et régime forfettario pour son e‑commerce.
Réduction INPS 50 % dès 65 ans.
Trois interpelli sont envisageables :
Ordinaire : confirmer que sa pension entre bien dans le régime 7 %.
Probatorio : attester que la pension 2025 est ≤ 35 000 € et ouvrir la porte au forfettario.
Anti‑abuso (optionnel) : sécuriser une distribution de dividendes de sa S.r.l. sans requalification.
Réponse en 90 jours : avant même de louer le camion de déménagement, M. T. sait où il va.
XI. Couverture sociale : ce qui échappe à l’interpello
Le SSN relève du ministère de la Santé, pas de l’Agenzia delle Entrate ; il n’existe donc pas d’interpello sanitaire. Toutefois, un retraité UE obtient via le formulaire S1 la gratuité du SSN ; le ticket modérateur reste mais peut être couvert par une mutuelle privée. Les cotisations INPS, elles, suivent un barème clair (4 550 € fixe + 24 % sur la tranche) et n’ont pas vocation à être « rulées » : seule une istanza di consulenza giuridica peut, dans de rares cas, clarifier l’assiette.
XII. Rédiger son interpello : dix bonnes pratiques
Faits. Détailler dates, montants, contreparties, sans cacher une information qui, découverte plus tard, anéantirait la réponse.
Normes citées. Toujours rappeler la disposition applicable et, si besoin, la jurisprudence constitutionnelle.
Question unique. Une seule problématique par dossier : sinon, l’administration pourrait juger l’instance irrecevable.
Solution proposée. Le requérant doit se mouiller, formuler sa lecture.
Annexes paginées. Comptes, projets de contrats, statuts.
PEC professionnelle. Indiquer l’adresse certifiée, sinon la réponse est réputée non notifiée.
Signature numérique. Depuis 2024, la firma digitale est obligatoire.
Paiement F24. Joindre la copie du versement ; défaut : instance irrecevable.
Langue. L’italien demeure la langue officielle ; un mémoire bilingue peut accélérer le traitement pour les bureaux internationaux.
Suivi. Passé 60 jours, relancer poliment ; passé 90 jours, imprimer la preuve de silenzio‑assenso.
XIII. Limites et risques
Modification législative : une loi postérieure peut rendre caduque l’avis, sans rétroactivité.
Inexactitude des faits : si l’administration prouve que les faits diffèrent, la protection tombe.
Changement de jurisprudence : en théorie, le ruling reste opposable, mais l’Agenzia pourrait tenter une revoca ; la justice a, jusqu’ici, donné raison aux contribuables.
XIV. Perspectives européennes
La directive EU 2011/16 (DAC) impose aux États d’échanger certaines rulings transfrontaliers ; l’interpello nuovi investimenti y entre. Ainsi, la France peut obtenir copie d’un ruling italien si la structure impacte la fiscalité française. Contrairement aux craintes initiales, le dispositif n’a pas ralenti les dépôts ; il a même amélioré la cohérence entre pays.
XV. Conclusion : pourquoi recourir à l’interpello ?
Pour tout investisseur ou expatrié francophone, l’interpello est un paratonnerre. En 90 jours, pour 250 €, il élimine la zone d’ombre et garantit la paix fiscale. L’Italie a réussi à conjuguer célérité, sécurité et transparence ; il serait dommage de s’en priver.
Prochaine étape
Vous envisagez un projet italien ? Rassemblons vos pièces, identifions la question centrale et déposons l’interpello qui fera la différence.
« La miglior litigiosità è quella evitata. » (Maxime italienne : « le meilleur contentieux est celui qu’on évite »)
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