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Passif environnemental et faillite : la bombe à retardement écologique ?




L'équation est de plus en plus fréquente et complexe : une entreprise confrontée à des difficultés économiques insurmontables est également responsable d'une pollution ou d'un risque environnemental sur son site d'exploitation. Que se passe-t-il lorsque cette entreprise dépose le bilan ? La procédure collective, conçue pour organiser le paiement des créanciers ou tenter un sauvetage économique, se heurte alors de plein fouet aux impératifs du droit de l'environnement, dominé par le principe "pollueur-payeur". Cette confrontation soulève des questions juridiques épineuses et laisse souvent la collectivité face à une "bombe à retardement" écologique et financière.



La difficile qualification juridique des coûts de dépollution


Le sort d'une créance dans une procédure collective dépend crucialement de sa qualification juridique. Or, les coûts liés à la remise en état d'un site pollué (études, travaux de dépollution, surveillance...) sont difficiles à catégoriser :


  • Créance antérieure au jugement d'ouverture ? Si la pollution et l'obligation de réparer préexistaient au jugement, il s'agit logiquement d'une créance "classique". Elle doit être déclarée au passif (article L. 622-24 du Code de commerce) et son titulaire (souvent l'État ou l'ADEME s'il y a eu substitution) sera payé selon son rang, généralement chirographaire, c'est-à-dire avec une très faible probabilité de recouvrement en liquidation.


  • Créance postérieure "utile" ou "méritante" ? Selon l'article L. 622-17 du Code de commerce (ou L. 641-13 en liquidation), certaines créances nées après le jugement pour les besoins de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, 1  bénéficient d'un traitement préférentiel. La jurisprudence semble très restrictive pour y inclure les coûts de dépollution d'une pollution passée, sauf si ces travaux sont absolument indispensables à la poursuite de l'activité ou à la réalisation des actifs dans des conditions acceptables.   


  • Frais de justice ? Les frais engagés par le mandataire ou le liquidateur pour les besoins stricts de la procédure (diagnostics nécessaires à la vente, par exemple) peuvent être qualifiés de frais de justice, payés prioritairement. Mais cela ne couvre généralement pas l'intégralité des travaux de dépollution eux-mêmes.


Cette incertitude sur la qualification et le rang de la créance de dépollution rend sa prise en charge par la procédure très aléatoire.



L'action de l'administration face à la procédure collective


Le droit de l'environnement (notamment via le Code de l'environnement aux articles L. 511-1 et suivants pour les ICPE) donne des pouvoirs importants à l'autorité administrative (Préfet, DREAL) pour imposer des mesures de prévention, de surveillance et de remise en état. Comment ces pouvoirs s'articulent-ils avec les règles de la procédure collective ?

  • La suspension des poursuites : L'ouverture de la procédure entraîne la suspension des poursuites individuelles des créanciers antérieurs (article L. 622-21 du Code de commerce). Cependant, cette règle ne paralyse pas totalement l'action de l'administration agissant au titre de ses pouvoirs de police administrative environnementale.

  • Les mesures imposables : Le Préfet peut imposer des mesures de mise en sécurité, voire des travaux de dépollution, même après l'ouverture de la procédure (voir par exemple Code de l'environnement L. 512-17, L. 512-21). Il peut même chercher à consigner des sommes. Toutefois, l'exécution effective de ces mesures se heurte à l'éventuelle absence de fonds dans l'entreprise en difficulté. La jurisprudence reconnaît souvent que si l'administration peut prescrire les mesures, elle ne peut en forcer le paiement en violation des règles de répartition des actifs de la procédure collective.



Le casse-tête de la liquidation judiciaire


La situation est particulièrement critique en cas de liquidation judiciaire, surtout lorsque les actifs sont insuffisants (ce qui est fréquent).

  • L'insuffisance d'actifs : Si le coût de la dépollution dépasse la valeur des actifs de l'entreprise (y compris le terrain pollué, souvent invendable ou à valeur négative), qui paie ? La procédure se clôturera pour insuffisance d'actif, laissant la pollution en l'état.

  • Le rôle du liquidateur : Le liquidateur a pour mission de réaliser les actifs au mieux des intérêts des créanciers. Il n'est pas tenu d'assumer personnellement les obligations environnementales du débiteur au-delà des actifs disponibles. Il doit cependant assurer certaines obligations minimales, notamment la "mise en sécurité" des sites ICPE lors de la cessation d'activité (Code de l'environnement, L. 512-6-1 pour la LJ). Il peut être tenté de céder les terrains pollués pour un euro symbolique, transférant ainsi la charge à un repreneur... si un repreneur se présente.

  • L'intervention de l'ADEME : L'Agence de la transition écologique (ADEME) peut intervenir pour prendre en charge la réhabilitation de certains sites "orphelins", mais ses moyens sont limités et elle agit en dernier recours. Elle détiendra ensuite une créance contre la liquidation... souvent irrécouvrable.

  • La recherche de responsabilités subsidiaires : Faute de pouvoir faire payer l'entreprise liquidée, des actions peuvent être envisagées contre les dirigeants (action en responsabilité pour insuffisance d'actif si une faute de gestion a contribué au préjudice environnemental ou à l'impossibilité de le réparer) ou la société mère, mais ces actions sont complexes et d'issue incertaine.



L'absence de privilège général pour la créance environnementale


Contrairement aux salariés ou à certains créanciers publics, il n'existe pas de privilège général de haut rang dans le Code de commerce pour garantir le paiement des créances liées à la réparation environnementale. Cette absence contribue grandement à l'impasse actuelle : les coûts de dépollution sont souvent relégués en fin de liste des paiements, et donc jamais couverts.



Conclusion et perspectives : un vide juridique et financier préoccupant


Le traitement des passifs environnementaux dans les procédures collectives reste un point aveugle du droit français. La confrontation des logiques économiques et environnementales aboutit trop souvent à une impasse où les sites restent pollués, faisant peser un risque sanitaire et écologique durable, dont le coût final est supporté par la collectivité.

Des réflexions sont en cours pour tenter de remédier à cette situation : création d'un "superprivilège" environnemental, abondement de fonds de garantie spécifiques, renforcement de la responsabilité des acteurs économiques en amont... Aucune solution simple n'émerge, mais une clarification législative intégrant mieux l'impératif environnemental au cœur des procédures collectives semble indispensable pour éviter que la faillite économique ne se double systématiquement d'un désastre écologique impuni.

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