
Le présent exposé vise à présenter de façon approfondie et pratique la question des frais de justice dans le cadre des procédures collectives. Seront successivement abordés : le fondement légal et réglementaire de ces frais, la typologie des dépenses concernées (notamment les frais de greffe, les honoraires de l’administrateur judiciaire, du mandataire et du liquidateur, les frais des commissaires-priseurs et des commissaires de justice, ainsi que ceux d’avocat), la détermination de leur montant, leur ordre de paiement et leur prise en charge.
1. Cadre légal et réglementaire des procédures collectives
Les procédures collectives, en droit français, sont principalement régies par le Livre VI du Code de commerce.
Il s’agit notamment :
De la sauvegarde, prévue par les articles L. 620-1 et suivants du Code de commerce ;
Du redressement judiciaire, visé par les articles L. 631-1 et suivants ;
De la liquidation judiciaire, régie par les articles L. 640-1 et suivants.
La question des frais de justice apparaît dans ces textes, ainsi que dans d’autres dispositions, telles que le décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005 (modifié à plusieurs reprises), et des arrêtés fixant notamment le tarif de certains intervenants (par exemple, le décret n° 2020-966 du 31 juillet 2020 relatif au tarif des administrateurs et mandataires judiciaires).
La philosophie générale du droit français des entreprises en difficulté repose sur la protection à la fois des intérêts de la collectivité des créanciers et de l’entreprise, lorsque sa sauvegarde est envisageable. Les frais de justice constituent un élément essentiel de cet équilibre : ils rémunèrent ceux qui mettent en œuvre la procédure (professionnels, experts, auxiliaires de justice) et permettent son déroulement efficace. Toutefois, ils peuvent réduire l’actif à distribuer et donc affecter le sort des créanciers.
2. Définition et typologie des frais de justice
Les « frais de justice » constituent un ensemble hétérogène de dépenses liées au fonctionnement même de la procédure collective. Ils se distinguent des « dettes de l’entreprise » préexistantes à l’ouverture de la procédure, même si elles peuvent être payées prioritairement dans certains cas (par exemple, pour des besoins cruciaux de poursuite d’activité ou de procédure).
On distingue classiquement :
Les frais de greffe, liés à l’enregistrement et au suivi des formalités judiciaires ;
Les honoraires et émoluments des administrateurs et mandataires judiciaires (dont le mandataire est souvent désigné pour représenter les créanciers et l’administrateur pour assister ou surveiller le dirigeant) ;
Les frais relatifs aux commissaires de justice (désormais regroupés sous cette dénomination, qui fusionne les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire depuis la réforme intervenue, notamment la loi n° 2019-222 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) ;
Les frais de commissaire-priseur, qui peuvent être mobilisés lorsque l’on procède à la vente aux enchères publiques des biens de l’entreprise en liquidation ou, plus rarement, dans d’autres étapes de la procédure ;
Les frais d’avocat, pour les contentieux éventuels (actions en revendication, contestations de créances, conflits divers) et l’assistance juridique du débiteur ou de toute autre partie ;
Les frais d’experts, lorsque le tribunal ou le juge-commissaire décide de nommer un expert (comptable, immobilier, etc.) pour éclairer une situation technique.
Chaque catégorie de frais est régie par des textes spécifiques qui précisent les barèmes, conditions de rémunération et modalités de contrôle par le juge-commissaire.
3. Les frais de greffe
Les greffes des tribunaux de commerce facturent des frais pour l’accomplissement de diverses formalités :
L’inscription de l’ouverture de la procédure au registre du commerce et des sociétés (RCS) ;
La mise à jour des mentions légales afférentes à l’entreprise soumise à la procédure ;
Les extractions de documents, les certificats ou copies ;
Les publications légales, le cas échéant.
Ces frais de greffe sont fixés, en France, par des arrêtés et décrets périodiquement actualisés. Le décret n° 78-262 du 8 mars 1978 (plusieurs fois modifié) énumère les formalités et tarifs afférents aux greffiers des tribunaux de commerce. Ces coûts peuvent sembler minimes à l’échelle de procédures complexes ; néanmoins, ils doivent être réglés en priorité.
En effet, pour assurer la publicité de la décision d’ouverture et de l’évolution de la procédure, le tribunal exige le paiement de ces sommes.
Leur montant varie selon la forme de la société concernée (SARL, SA, SAS, etc.), mais demeure relativement encadré. Chaque formalité donne lieu à un émolument fixe ou proportionnel. En pratique, les greffiers émettent des relevés de frais, validés par le juge-commissaire, avant d’être payés sur l’actif de l’entreprise en redressement ou liquidation.
4. Les honoraires de l’administrateur et du mandataire judiciaires
4.1. Rôle de l’administrateur et du mandataire
L’administrateur judiciaire est désigné lorsque la complexité de la situation financière ou la taille de l’entreprise l’exigent. Il peut être nommé dans le cadre d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire. Son rôle est d’assister ou de surveiller le dirigeant. Il peut également être chargé de la gestion, si le tribunal l’y autorise.
Le mandataire judiciaire représente les intérêts de l’ensemble des créanciers : il reçoit les déclarations de créances, vérifie leur validité, et contrôle que les droits de chacun sont bien respectés. En liquidation judiciaire, le mandataire judiciaire est souvent nommé liquidateur.
4.2. Barème et réglementation
Les administrateurs et mandataires judiciaires exercent leur activité dans le cadre d’un tarif national fixé par décret. Le décret n° 2020-966 du 31 juillet 2020, entré en vigueur au 1er octobre 2020, a refondu le barème de leur rémunération. Ce texte, ainsi que l’arrêté qui l’accompagne, précise notamment :
Une part proportionnelle à l’actif ou au passif de l’entreprise et à la difficulté du dossier ;
Une part au temps passé, sous réserve de justifications précises ;
D’éventuelles missions complémentaires (cession d’entreprise, plan de redressement, etc.) pouvant donner lieu à des honoraires spécifiques.
Le juge-commissaire vérifie la cohérence des demandes d’honoraires avec les diligences accomplies. Les administrateurs et mandataires sont tenus de respecter le principe de proportionnalité ; ils doivent transmettre un « relevé de frais et honoraires » indiquant la nature des travaux effectués.
4.3. Ordre de paiement et priorités
Les sommes dues à l’administrateur et au mandataire judiciaires bénéficient d’un privilège de frais de justice, c’est-à-dire qu’elles sont payées en premier (sauf pour les salaires des employés, qui peuvent avoir la priorité à travers le super-privilège des salariés). Ce principe découle de la nécessité d’assurer le bon fonctionnement de la procédure collective : sans rémunération de ces professionnels, la gestion du dossier serait compromise.
5. Les frais du liquidateur judiciaire
Lorsqu’une entreprise est en liquidation, le juge désigne un liquidateur, souvent le même professionnel que le mandataire. Il est chargé de :
Réaliser l’inventaire des biens ;
Vendre les actifs (immeubles, fonds de commerce, stocks, etc.) ;
Encaisser les créances ;
Payer les dettes selon l’ordre légal d’apurement (frais de justice, privilèges, etc.) ;
Procéder à la clôture de la liquidation.
Comme pour l’administrateur, le liquidateur est rémunéré selon un barème légal. Il perçoit souvent un pourcentage sur les cessions d’actifs ou sur le recouvrement de créances. Le but est d’assurer un intérêt à mener la procédure à son terme en valorisant au mieux le patrimoine. Cependant, ce système peut faire débat lorsqu’il suscite des coûts élevés comparés à l’importance de l’actif disponible.
Le liquidateur peut également solliciter, en cours de procédure, des provisions sur frais et honoraires, soumises à validation du juge-commissaire. Ces provisions doivent être justifiées, sous peine de contestation de la part du dirigeant ou des créanciers.
6. Les frais des commissaires-priseurs et des commissaires de justice
6.1. La profession de commissaire-priseur
Dans une procédure de liquidation, il est fréquent que l’on procède à la vente aux enchères des biens mobiliers (machines, stocks, matériel informatique, véhicules, etc.). Ces enchères sont organisées par un commissaire-priseur, dont la rémunération est réglementée. On retrouve notamment les dispositions relatives aux ventes judiciaires dans le Code de commerce et dans des décrets spécifiques régissant la tarification des commissaires-priseurs judiciaires.
Les honoraires de ces ventes sont en général un pourcentage sur le montant des adjudications, parfois complété d’émoluments fixes pour les formalités (expertise préalable, publicité, etc.). Les conditions d’intervention peuvent être contrôlées par le juge-commissaire, notamment s’il existe un enjeu d’estimation ou de valorisation particulière (œuvres d’art, brevets, etc.).
6.2. La profession de commissaire de justice
Depuis la réforme qui regroupe les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires sous la dénomination de commissaires de justice, le champ de compétences inclut les constats, les significations d’actes, les ventes aux enchères publiques de meubles corporels, etc. Les frais engagés par un commissaire de justice (significations de convocations, recouvrements, saisies, etc.) sont également imputables à la procédure collective, selon un barème réglementaire (notamment le décret n° 2016-230 du 26 février 2016, amendé par la suite, puis d’autres textes pris en application de la réforme).
Comme pour les autres intervenants, ces frais bénéficient d’un rang de paiement prioritaire en tant que frais de justice, sous réserve de validation par le juge-commissaire.
7. Les frais d’avocat
7.1. Principe général
Les avocats interviennent à plusieurs titres dans une procédure collective :
Assistance du débiteur (chef d’entreprise) dans les échanges avec l’administrateur et le mandataire, ou devant le tribunal ;
Représentation en cas de contentieux (action en revendication, contestation de créances, plan de cession, responsabilité pour insuffisance d’actif, etc.) ;
Défense des créanciers qui souhaitent contester des propositions ou faire valoir des droits spécifiques (nantissements, hypothèques, etc.).
Contrairement aux administrateurs et mandataires, les avocats n’ont pas un tarif fixé par décret. Leurs honoraires sont fixés librement, soit au temps passé, soit au forfait, soit selon une convention d’honoraires prévoyant un honoraire de résultat partiel. Le client peut tenter de négocier ces conditions, mais le champ d’intervention en matière de procédures collectives peut s’avérer technique et justifier des honoraires élevés.
7.2. Prise en charge et ordre de paiement
Une question délicate est celle de la prise en charge des frais d’avocat par l’entreprise en difficulté. De manière générale, lorsque le dirigeant est assisté par un avocat pour la défense de ses intérêts, ces coûts sont à la charge du débiteur lui-même. Cependant, si l’avocat agit pour le compte de la procédure (par exemple pour un contentieux lié à l’intérêt collectif des créanciers), l’honoraire peut être considéré comme un frais de justice prioritaire.
Le juge-commissaire peut toutefois exiger des justifications sur l’utilité de l’action pour la procédure. Dans certains cas, les honoraires d’avocat engagés par le liquidateur ou le mandataire judiciaire pour récupérer un actif ou défendre un droit essentiel peuvent être payés en priorité, avant même les créanciers privilégiés.
Enfin, pour les créanciers qui souhaitent se faire représenter, les frais d’avocat restent généralement à leur charge, et ils n’ont pas vocation à être intégrés parmi les frais de justice, sauf exception (par exemple, si l’action profite directement à la procédure).
8. Les frais d’expertise
Le tribunal ou le juge-commissaire peut décider de désigner un expert (comptable, immobilier, spécialiste technique) pour éclairer les décisions à prendre dans la procédure. Cette expertise peut servir à :
Estimer la valeur de l’entreprise ou de certains actifs ;
Déterminer les causes des difficultés économiques et financières ;
Analyser des opérations suspectes (mouvements bancaires, actes à titre gratuit, etc.).
Les honoraires de l’expert sont fixés par une ordonnance du juge-commissaire, après présentation d’un devis ou d’un état de diligences. Ils bénéficient également du statut de frais de justice. Toutefois, le juge-commissaire peut refuser la prise en charge de tout ou partie de l’expertise, s’il estime que l’opération n’est pas opportune ou utile à la procédure.
9. Ordre de paiement et priorités entre les différents frais
Le Code de commerce et la jurisprudence distinguent les créances antérieures à l’ouverture de la procédure, soumises au principe de l’interdiction des paiements, et les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation. Les frais de justice, au sens strict, font partie de ces créances postérieures privilégiées, payables en priorité sur l’actif de la procédure.
Lorsque les sommes disponibles sont insuffisantes pour satisfaire tous les frais de justice, des arbitrages sont opérés, sous le contrôle du juge-commissaire. Les créances de salaires superprivilégiées restent toutefois prioritaires sur tout le reste. Ensuite, on paie l’administrateur, le mandataire ou le liquidateur, les frais de justice stricts (dont greffe, significations, expertises, etc.), et enfin les créances postérieures nées régulièrement pour la continuation d’activité (fournisseurs indispensables, par exemple).
En liquidant l’actif, le liquidateur ou le mandataire judiciaire établit un ordre de paiement. Les contestations sur cet ordre sont portées devant le juge-commissaire. Celui-ci peut ordonner un réajustement si une facture semble injustifiée ou disproportionnée.
10. Réflexions pratiques et perspectives d’évolution
Les frais de justice, bien qu’indispensables au bon déroulement des procédures collectives, peuvent susciter des critiques lorsqu’ils atteignent des montants jugés excessifs par rapport à la taille et aux capacités financières de l’entreprise. Voici quelques pistes de réflexion :
Contrôle renforcé du juge-commissaire : le législateur a, ces dernières années, renforcé le pouvoir du juge-commissaire pour exiger plus de transparence dans la présentation des états de frais et la justification des diligences. Cette tendance devrait se poursuivre pour éviter les dérives et préserver au mieux l’actif.
Mise en concurrence des intervenants : dans certaines grandes procédures, le débiteur peut demander à mettre plusieurs administrateurs ou mandataires en concurrence, afin de comparer les propositions d’honoraires. Toutefois, cette pratique se heurte à la nécessaire désignation judiciaire et à la limitation du nombre de professionnels agréés.
Développement de solutions amiables : de plus en plus, les entreprises privilégient des procédures préventives (mandat ad hoc, conciliation) qui entraînent moins de frais de justice. Une conciliation réussie peut éviter l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation, donc diminuer drastiquement les coûts.
Recours au numérique : la dématérialisation de certaines formalités (déclaration des créances, communication électronique entre parties) tend à réduire les coûts administratifs et à simplifier la procédure. Des plateformes en ligne pour la vente d’actifs peuvent également diminuer les frais liés au commissaire-priseur, bien que sa rémunération reste parfois indexée sur le montant des adjudications.
Dans tous les cas, la maîtrise des frais de justice commence par une bonne information des dirigeants, créanciers et autres acteurs de la procédure. Connaître en amont la réglementation applicable, les possibilités de contestation et les mécanismes de contrôle (juge-commissaire, possibilité de discuter les notes d’honoraires) est essentiel pour éviter les mauvaises surprises.
Conclusion générale
Les frais de justice dans les procédures collectives représentent un enjeu majeur, car ils conditionnent la rémunération de l’ensemble des intervenants indispensables à la sauvegarde, au redressement ou à la liquidation de l’entreprise. Ils incluent les frais de greffe, d’expertise, d’avocats, de commissaires de justice, de commissaires-priseurs, ainsi que les honoraires des administrateurs et mandataires judiciaires.
Réglés prioritairement, ces coûts peuvent grever l’actif de la société en difficulté et réduire d’autant la part revenant aux créanciers. Le législateur et la jurisprudence ont prévu un ensemble de dispositions permettant le contrôle de leur montant et de leur utilité, en plaçant le juge-commissaire au cœur du dispositif.
Pour l’entreprise comme pour ses créanciers, il est crucial de garder à l’esprit la nécessité de vérifier et de justifier chaque dépense. L’objectif demeure de préserver l’équilibre entre la rémunération légitime des professionnels qui assurent la sécurité juridique et la conduite de la procédure, et la défense des intérêts de la masse des créanciers. Dans la pratique, une bonne communication et une anticipation des coûts, associées à une transparence dans les comptes de la procédure, constituent la meilleure garantie de la bonne gestion de ces frais.
Les évolutions récentes, notamment la digitalisation des démarches et la fusion des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, laissent augurer une certaine rationalisation des coûts. Toutefois, l’efficacité de ces réformes dépendra de leur mise en application concrète sur le terrain, de la formation des professionnels et de la vigilance du juge-commissaire.
En définitive, l’enjeu d’une procédure collective réussie n’est pas seulement la continuation de l’activité ou la meilleure valorisation de l’actif, mais aussi la préservation de la confiance des créanciers dans la justice commerciale. À cet égard, la question des frais de justice demeure centrale, car elle cristallise les tensions entre la nécessité d’indemniser les acteurs du redressement ou de la liquidation, et l’obligation de préserver autant que possible les ressources disponibles pour satisfaire les créanciers. Une gestion avisée et contrôlée de ces frais contribue ainsi à l’efficacité et à la crédibilité des procédures collectives françaises.
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