Le gage : une sûreté mobilière au cœur du droit des affaires
- Rodolphe Rous
- 25 août
- 7 min de lecture

Le gage est une des plus anciennes sûretés du droit français. Héritée du droit romain, où il constituait un mécanisme rudimentaire de remise d’un bien entre les mains d’un créancier, cette institution a connu une évolution considérable au fil du temps, jusqu’à sa réorganisation moderne par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés, puis par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 et le décret n°2021-1887 du 29 décembre 2021. Ces textes ont simplifié et unifié le régime des sûretés mobilières, notamment en instaurant un registre unique de publicité, désormais dématérialisé.
Aujourd’hui, le gage constitue un instrument privilégié de sécurisation des créances, aussi bien dans les relations entre particuliers que dans le financement des entreprises. Il permet de conférer au créancier une priorité de paiement, en lui garantissant un droit de préférence et un droit de suite sur le bien affecté. La modernisation de son régime en fait une sûreté souple, adaptable et adaptée aux besoins du crédit contemporain.
Définition et nature juridique du gage
Le gage est défini par l’article 2333 du Code civil comme « la convention par laquelle un constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ». Cette définition traduit deux éléments fondamentaux.
D’abord, le gage confère au créancier un droit de préférence : il sera payé en priorité sur le produit de la réalisation du bien, avant les autres créanciers. Le gage procure ainsi une garantie plus solide qu’un simple droit de créance. Ensuite, l’assiette du gage est large : elle peut porter sur des biens présents ou futurs, corporels ou incorporels, à condition qu’ils soient déterminables. L’ouverture aux biens futurs, consacrée par la réforme de 2006, a considérablement accru la portée pratique du mécanisme.
Le gage est une sûreté réelle mobilière. Contrairement au cautionnement, qui est une sûreté personnelle, il repose non pas sur l’engagement d’une personne tierce, mais sur l’affectation d’un bien déterminé. De même, contrairement à l’hypothèque, qui pèse sur un immeuble, le gage porte exclusivement sur des biens meubles. Il se distingue également de l’antichrèse, qui suppose la remise d’un immeuble au créancier avec faculté d’en percevoir les fruits.
Les conditions de validité du gage
La constitution d’un gage suppose la conclusion d’un contrat. Ce contrat doit répondre à certaines conditions pour être valable.
En matière civile, l’article 2336 du Code civil impose un écrit à peine de nullité. Cet écrit doit identifier la créance garantie, le ou les biens affectés en gage, ainsi que les modalités de la sûreté. Le législateur a voulu éviter que de simples accords verbaux ne viennent grever un patrimoine mobilier, au risque de créer une insécurité juridique pour les tiers.
En matière commerciale, en revanche, le régime est plus souple. L’article L. 521-1 du Code de commerce prévoit que le gage peut être constaté « par tous moyens ». Cette règle répond aux impératifs de rapidité et de flexibilité du commerce. La Cour de cassation l’a confirmée dans un arrêt du 17 février 2015 (Chambre commerciale, pourvoi n°13-27080, BICC n°823), en admettant la preuve du gage commercial sans écrit.
L’opposabilité du gage aux tiers
Le gage, pour produire ses effets au-delà des seules parties, doit être rendu opposable aux tiers. Cette opposabilité est réalisée de deux manières différentes, selon que le gage est assorti ou non de dépossession.
Dans le gage avec dépossession, le débiteur remet effectivement le bien au créancier ou à un tiers convenu. La dépossession joue le rôle de publicité et rend la sûreté opposable. Il s’agit de la forme la plus traditionnelle du gage, héritée du droit romain, où la remise matérielle de la chose au créancier était indispensable.
Dans le gage sans dépossession, mécanisme plus moderne, le débiteur conserve la jouissance et l’usage du bien. Pour protéger le créancier, l’opposabilité est alors assurée par une inscription au registre des sûretés mobilières. Avant la réforme de 2021, ce registre était éclaté entre plusieurs registres spécialisés (registre des nantissements, registre des gages automobiles, etc.). L’ordonnance du 15 septembre 2021 et le décret du 29 décembre 2021 ont instauré un registre unique dématérialisé, consultable par les tiers, qui centralise l’ensemble des inscriptions.
Les droits du créancier gagiste
Le créancier bénéficiaire d’un gage dispose de plusieurs prérogatives importantes.
Il détient d’abord un droit de préférence : en cas de réalisation du bien, il sera payé en priorité sur le prix, avant les autres créanciers chirographaires. Ce droit constitue la justification même de la sûreté.
Il bénéficie également d’un droit de suite : le gage suit le bien en quelques mains qu’il passe. Ainsi, si le débiteur vend le bien gagé à un tiers, le créancier peut l’appréhender, sauf dans les cas où l’acheteur bénéficie de la protection de l’article 2276 du Code civil (« en fait de meubles, possession vaut titre »).
En cas de défaillance du débiteur, plusieurs voies s’offrent au créancier. Il peut demander la vente du bien aux enchères publiques et se faire payer sur le produit. Il peut aussi solliciter une attribution judiciaire du bien. L’article 2078 du Code civil dispose en effet que le juge peut ordonner que le gage demeure acquis au créancier en paiement, après estimation par experts. La Cour de cassation a consacré cette possibilité dans un arrêt du 24 janvier 2006 (Chambre commerciale, pourvoi n°02-16.478, BICC n°634), précisant que l’attribution éteint la créance à concurrence de la valeur du bien attribué.
Depuis la réforme de 2006, le pacte commissoire est de nouveau admis. L’article 2348 du Code civil autorise en effet les parties à stipuler que le créancier deviendra automatiquement propriétaire du bien gagé en cas de défaillance du débiteur. Longtemps prohibée, cette clause confère au gage une efficacité accrue. Elle reste toutefois encadrée, puisque le juge peut être saisi en cas de disproportion manifeste entre la valeur du bien et le montant de la créance.
Les gages spéciaux et leurs régimes particuliers
Le droit français connaît plusieurs régimes particuliers de gage, adaptés à des biens spécifiques.
Le gage automobile, prévu aux articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, permet de grever un véhicule pour garantir un crédit. Ce mécanisme est fréquemment utilisé par les établissements de financement.
Le nantissement de fonds de commerce constitue un autre gage spécial. Prévu aux articles L. 142-1 et suivants du Code de commerce, il permet au commerçant d’affecter son fonds de commerce en garantie d’un prêt. Il est très utilisé dans le financement des entreprises, notamment lors d’un rachat ou d’une expansion.
Le nantissement d’outillage et de matériel d’équipement, régi par les articles L. 525-1 et suivants du Code de commerce, permet de financer l’acquisition de matériel industriel en affectant celui-ci en garantie.
Les instruments financiers et comptes-titres peuvent également être grevés. La Cour de cassation, dans un arrêt du 20 juin 2018 (Chambre commerciale, pourvoi n°17-12559, BICC n°892), a jugé que la constitution en gage d’un compte d’instruments financiers est réalisée, entre les parties et à l’égard des tiers, par la seule déclaration de gage signée par le titulaire, sans qu’il soit nécessaire de notifier la société émettrice.
Un régime particulier s’applique au gage des stocks sans dépossession, prévu aux articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce. La jurisprudence a précisé, dans un arrêt du 19 février 2013 (Com., pourvoi n°11-21763, BICC n°785), que lorsque les biens sont visés par ces dispositions, les parties ne peuvent pas soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession. En revanche, dans le cas d’un gage des stocks avec dépossession, la Cour a admis que les parties puissent recourir au droit commun (Com., 1er mars 2016, pourvoi n°14-14401, BICC n°846).
Le gage en droit des procédures collectives
En cas d’ouverture d’une procédure collective, le gage conserve toute son utilité. Le créancier gagiste bénéficie d’un traitement particulier.
La jurisprudence a jugé que le créancier pouvait demander l’attribution judiciaire du bien gagé avant sa réalisation par le liquidateur (Cass. com., 24 janvier 2006). Lorsque cette attribution a été prononcée par une décision exécutoire par provision avant l’ouverture de la procédure, le transfert de propriété est immédiat et la créance est éteinte à concurrence de la valeur du bien.
Le gage constitue ainsi une sûreté particulièrement efficace face au risque d’insolvabilité du débiteur. Il confère au créancier une priorité de paiement et, dans certains cas, un droit direct de propriété.
Distinctions avec d’autres sûretés
Le gage ne doit pas être confondu avec d’autres mécanismes. Contrairement au cautionnement, qui implique l’engagement personnel d’un tiers, il repose sur l’affectation d’un bien. Contrairement à l’hypothèque, il porte sur des meubles et non sur des immeubles. Enfin, il se distingue de l’antichrèse, qui concerne un immeuble dont les fruits sont perçus par le créancier.
Ces distinctions permettent de comprendre la spécificité du gage et d’orienter le choix de la
sûreté la plus adaptée.
Intérêt pratique et conclusion
Le gage est aujourd’hui une sûreté moderne, souple et efficace. Pour le créancier, il garantit un paiement prioritaire et renforce la sécurité des financements. Pour le débiteur, il permet parfois d’accéder au crédit sans être privé de l’usage de son bien, notamment dans le cadre du gage sans dépossession.
Les réformes récentes, en particulier la création du registre unique des sûretés mobilières et la reconnaissance du pacte commissoire, ont renforcé l’attractivité du gage. Ce mécanisme répond aux besoins contemporains de financement, qu’il s’agisse de particuliers sollicitant un crédit à la consommation ou d’entreprises mobilisant leurs actifs pour financer leur développement.
Le gage demeure ainsi une institution centrale du droit des sûretés, au carrefour du droit civil, du droit commercial et du droit des entreprises en difficulté. Sa modernisation confirme son rôle stratégique dans la sécurisation des relations économiques, tout en illustrant l’adaptation constante de notre droit aux nécessités de l’économie.
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