L’Union européenne (UE) est depuis plusieurs années au cœur d’une dynamique d’harmonisation réglementaire, avec pour objectif majeur d’assurer la stabilité financière, de protéger les consommateurs et de stimuler l’innovation au sein du marché unique. Le secteur naissant des crypto-actifs (ou « actifs numériques ») illustre parfaitement ce besoin d’encadrement : s’il est source d’innovations et d’opportunités économiques, il présente également une série de risques considérables (blanchiment, financement du terrorisme, cyberattaques, volatilité, etc.). C'est dans ce contexte qu'au 1er janvier 2025, entre en vigueur le règlement Règlement (UE) 2023/1114 sur les marchés de crypto-actifs dit "MiCA" qui devrait répondre au moins partiellement à ces enjeux.
Partie 1 : Le contexte juridique et politique entourant l’adoption du règlement MiCA sur les crypto-actifs
§1. Introduction générale
Face à l’essor massif de l’écosystème des crypto-actifs — qu’il s’agisse des crypto-monnaies (Bitcoin, Ether…), des stablecoins (jetons adossés à des monnaies fiat ou d’autres actifs) ou de la tokenisation croissante d’actifs divers —, il est apparu nécessaire de clarifier le cadre juridique pour tous les acteurs. C’est dans ce contexte qu’a émergé la proposition de règlement intitulé « Regulation on Markets in Crypto-Assets » (MiCA), dont l’appellation officielle en français est « Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs ».
Publiée au Journal officiel de l’Union européenne en juin 2023, cette réglementation a pour ambition d’établir un socle unifié de règles applicables aux émetteurs de crypto-actifs, aux prestataires de services sur crypto-actifs, ainsi qu’à certains comportements de marché (interdiction des abus de marché, exigence de publication d’informations, etc.). La première partie de cet article, très détaillée, se propose de brosser un panorama complet du contexte historique, juridique, économique et politique qui a motivé l’élaboration et l’adoption de MiCA.
Nous verrons notamment :
Comment l’essor des crypto-actifs a progressivement suscité l’attention des institutions européennes et des autorités nationales ;
Quels sont les principaux risques identifiés et les lacunes des cadres existants ;
Dans quelle mesure MiCA s’inscrit dans un mouvement global d’encadrement international, à la lumière des travaux d’organisations telles que le Groupe d’action financière (GAFI) ou le Conseil de stabilité financière (FSB) ;
Les enjeux soulevés par les stablecoins, notamment ceux dits « algorithmiques » ou adossés à des monnaies officielles (monnaies fiat), qui ont joué un rôle catalyseur dans l’agenda législatif de l’UE ;
L’articulation de MiCA avec d’autres textes européens relatifs aux services financiers : directive (UE) 2015/849 (lutte contre le blanchiment), directive 2009/110/CE (monnaie électronique), directive 2013/36/UE (établissements de crédit), règlement (UE) no 575/2013 (exigences prudentielles), directive 2014/65/UE (MiFID II), règlement (UE) no 596/2014 (abus de marché), directive (UE) 2015/2366 (services de paiement, dite PSD2), etc.
L’étude se concentrera, à ce stade, sur le contexte et la genèse de MiCA. Dans la deuxième partie, nous plongerons dans l’analyse détaillée de chacun des articles et titres du règlement.
§2. Genèse du marché des crypto-actifs et premières initiatives de régulation
2.1. L’émergence du Bitcoin et des autres crypto-actifs
Le premier bloc de la blockchain Bitcoin a été créé le 3 janvier 2009, marquant le début d’une nouvelle ère dans la finance et la technologie. Le Bitcoin (BTC) s’est rapidement imposé comme la première crypto-monnaie décentralisée, échappant au contrôle des banques centrales et s’appuyant sur un mécanisme de consensus dit de « preuve de travail » (Proof of Work).
Avec la hausse spectaculaire du cours du Bitcoin, d’autres crypto-actifs ont rapidement vu le jour, dont Ethereum (ETH) en 2015, proposant la possibilité de déployer des smart contracts et de créer des jetons (ERC-20, par exemple). Cette prolifération de projets a mené à l’essor du secteur dit des Initial Coin Offerings (ICO), souvent comparées à des levées de fonds en crypto-actifs.
2.2. Les premières réactions nationales et la fragmentation réglementaire
En l’absence d’un cadre législatif européen unifié, les États membres ont adopté des approches diverses :
Certains pays, à l’instar de Malte ou du Luxembourg, ont très tôt mis en place des régimes nationaux favorables à l’accueil des entreprises de crypto-actifs, afin de se positionner comme pôles de compétitivité technologique.
D’autres, comme la France, ont introduit des règles spécifiques pour les offres de jetons (via l’ordonnance « ICO », puis la loi PACTE de 2019) et créé un agrément optionnel pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).
D’autres encore se sont montrés plus réservés ou ont appliqué les textes existants en matière de valeurs mobilières, de monnaie électronique ou de lutte contre le blanchiment pour encadrer certaines activités liées aux crypto-actifs.
Très vite, cette fragmentation a suscité des difficultés pour les entreprises souhaitant opérer dans plusieurs États membres, mais aussi pour la protection des consommateurs. En l’absence de règles transfrontières harmonisées, le risque d’« arbitrage réglementaire » (regulatory arbitrage) était élevé.
2.3. Première réflexion au niveau européen : documents d’orientation et « boîtes à sable »
Les autorités européennes, comme l’Autorité bancaire européenne (EBA) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF/ESMA), ont progressivement pris conscience des lacunes du cadre existant. Avant MiCA, plusieurs rapports et avis ont été publiés :
L’EBA, dans son rapport de 2014, s’interrogeait sur la qualification juridique du Bitcoin et recommandait déjà une action concertée pour encadrer les prestataires opérant dans ce domaine.
L’ESMA a publié en 2017 et 2019 des Communications sur les risques liés aux ICO, soulignant notamment qu’un certain nombre de jetons pouvaient être considérés comme des instruments financiers au sens de la directive 2014/65/UE (MiFID II).
Dans le même temps, la Commission européenne, soucieuse de maintenir une position de leader dans l’innovation, a exploré les possibilités offertes par la blockchain (ex. le Partenariat européen de la blockchain, la création de l’Observatoire-Forum de la Blockchain…).
C’est dans cet environnement qu’a germé l’idée d’un règlement unique, MiCA, pour assurer la sécurité juridique, la stabilité financière et le développement équilibré du marché des crypto-actifs au sein de l’UE.
§3. La proposition MiCA : l’impact des stablecoins et de la concurrence internationale
3.1. L’effet catalyseur de Libra (ex-Diem) de Meta (Facebook)
La proposition de la Commission européenne relative à MiCA a été largement influencée par l’annonce, en 2019, du projet de stablecoin « Libra » (rebaptisé ultérieurement « Diem ») porté par Facebook (Meta). Libra ambitionnait de créer un jeton adossé à un panier de monnaies officielles, susceptible d’être utilisé par les milliards d’utilisateurs de Facebook, Instagram et WhatsApp.
Les banques centrales européennes, notamment la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France, ont exprimé leur préoccupation face au risque de perturbation monétaire et de contournement potentiel des politiques monétaires nationales. La crainte principale était qu’un stablecoin émis par un géant du numérique puisse, s’il était massivement adopté, menacer la souveraineté monétaire ou la stabilité financière.
Cette prise de conscience est venue accélérer les travaux européens : il devenait nécessaire d’anticiper l’éventualité de stablecoins massivement adoptés — d’où la volonté, dans MiCA, de consacrer un régime strict aux « jetons se référant à un ou des actifs » (parfois appelés « Asset Referenced Tokens ») et aux « jetons de monnaie électronique ».
3.2. La pression internationale et les recommandations du GAFI
Parallèlement, au niveau international, le Groupe d’action financière (GAFI) a publié des lignes directrices exigeant que les exchanges crypto et autres prestataires se conforment aux normes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Les notions de Travel Rule (transmission des informations sur l’expéditeur et le bénéficiaire d’un transfert de crypto-actifs) et d’obligation de vigilance se sont progressivement imposées.
Ces recommandations — appliquées avec des variantes dans plusieurs juridictions (États-Unis, Singapour, Japon, etc.) — ont aussi fait réaliser à l’UE qu’elle devait éviter la mise en place de barrières trop hétérogènes, et proposer un texte couvrant à la fois la protection des investisseurs, l’intégrité du marché, et la stabilité financière, tout en intégrant les exigences de lutte contre le blanchiment déjà prévues dans la directive (UE) 2015/849 (dite 5e directive AML/CFT) et dans les textes ultérieurs.
3.3. La concurrence mondiale : attirer l’innovation et protéger le marché intérieur
Le projet de MiCA se voulait également un instrument de compétitivité : d’autres grands pôles, comme les États-Unis et la Chine, discutaient également d’un encadrement des crypto-actifs. La Chine a même initié un projet de yuan numérique (CBDC) qui soulève diverses questions de souveraineté monétaire.
L’UE ne souhaitait pas « freiner l’innovation » mais au contraire accompagner l’essor d’entreprises spécialisées dans la blockchain, en leur fournissant un cadre réglementaire clairement défini et passeportable dans tous les États membres. MiCA devait donc concilier :
Encouragement de l’innovation ;
Surveillance prudentielle stricte pour les acteurs jugés « d’importance systémique » ;
Protection efficace des consommateurs ;
Prévention des risques systémiques (notamment avec les stablecoins).
§4. Les lacunes des textes existants et la nécessité d’une nouvelle réglementation
4.1. Les textes sectoriels en vigueur avant MiCA
Avant l’entrée en application de MiCA, l’écosystème crypto devait, pour partie, naviguer entre différents textes européens susceptibles de s’appliquer, notamment :
Directive 2014/65/UE (MiFID II) : détermine si un jeton peut être considéré comme un instrument financier. Dans ce cas, son émetteur (ou prestataire) est soumis aux mêmes obligations que celles pesant sur les valeurs mobilières classiques.
Règlement (UE) no 596/2014 (MAR) : relatif aux abus de marché, mais limité aux instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé ou assimilé.
Directive 2009/110/CE (EMD2) : encadre l’émission de monnaie électronique. Un jeton adossé à une devise fiduciaire (stablecoin) pourrait relever de la définition de monnaie électronique, mais ce n’est pas toujours évident si le détenteur n’a pas de véritable droit au remboursement au pair.
Directive (UE) 2015/2366 (PSD2) : encadre les services de paiement. Certains flux en crypto-actifs pourraient être considérés comme des services de paiement, sous certaines conditions (dès lors qu’il y a conversion en fiat, par exemple).
Directives anti-blanchiment (AMLD4, AMLD5, AMLD6) : imposent des exigences de vigilance et de déclarations pour certaines catégories de prestataires (plateformes d’échange, etc.).
Malgré ces textes, il subsistait des zones grises concernant la définition des jetons, la qualification des différentes catégories de crypto-actifs (utility tokens, security tokens, stablecoins, etc.) et les obligations prudentielles des plateformes non classées comme « opérateurs de marché » au sens de MiFID II.
4.2. Les problématiques de qualification juridique
La question majeure portait sur la qualification des jetons :
Si le jeton donne des droits similaires à des actions, obligations ou parts de fonds, il peut être considéré comme un instrument financier et tombe sous le coup de MiFID II.
S’il est adossé à une devise unique, peut-être s’apparente-t-il à de la monnaie électronique (directive 2009/110/CE) ;
S’il n’entrait dans aucune case existante, aucun texte de l’UE ne venait alors imposer de régime particulier (sauf application des règles nationales ad hoc).
Cette incertitude juridique compliquait la tâche des entreprises, qui devaient souvent solliciter des rescrits auprès des autorités nationales, ou tenter de structurer leurs produits pour éviter qu’ils ne soient requalifiés en instruments financiers.
4.3. Les risques élevés pour les investisseurs de détail
La volatilité des crypto-actifs, la prolifération de projets parfois frauduleux (ICO non transparentes, schémas de Ponzi, etc.), et l’absence de garanties équivalentes à celles prévues pour les valeurs mobilières traditionnelles (telles que l’exigence d’un prospectus) ont mis en évidence la nécessité d’une transparence minimale vis-à-vis des investisseurs de détail.
C’est ainsi que MiCA impose, pour certains crypto-actifs, l’obligation d’un livre blanc (crypto white paper) reprenant des informations sur l’émetteur, le mécanisme de stabilisation (le cas échéant), la politique d’investissement des actifs de réserve pour les stablecoins, etc.
4.4. L’absence de dispositif encadrant spécifiquement les services sur crypto-actifs
Avant MiCA, les prestataires de services (conservation/administration de crypto-actifs pour compte de tiers, plateformes de négociation, services d’échange ou de conseil) n’étaient pas soumis à un régime spécifique harmonisé au niveau européen (sauf s’ils géraient des instruments financiers tokenisés). Les obligations prudentielles, de séparation des actifs ou de protection contre les abus de marché pouvaient donc varier d’un État à l’autre.
Avec MiCA, l’objectif est de créer un passeport européen unique pour ces prestataires, à l’instar de ce qui existe pour les sociétés de gestion, les établissements de crédit ou les entreprises d’investissement.
§5. La position des institutions européennes et la procédure législative
5.1. Le rôle de la Commission européenne
La Commission a déposé la proposition de règlement MiCA le 24 septembre 2020, dans le cadre du Digital Finance Package. Elle y expose les grands objectifs :
Assurer la protection des consommateurs et l’intégrité du marché ;
Établir un cadre prudentiel proportionné pour les émetteurs de stablecoins (jetons se référant à un ou des actifs et jetons de monnaie électronique) ;
Mettre en place un passeport unique pour les prestataires de services sur crypto-actifs ;
Soutenir l’innovation et renforcer l’attractivité de l’UE dans le secteur de la blockchain.
5.2. Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne
La proposition de la Commission est soumise à la procédure législative ordinaire, qui implique un examen et une adoption par le Parlement européen et le Conseil. Les points d’achoppement les plus notables durant les négociations ont porté sur :
La définition précise des stablecoins et des conditions de leur émission (droits de remboursement, exigence d’actifs de réserve, régime de fonds propres) ;
Les seuils chiffrés à partir desquels un stablecoin est considéré comme « d’importance significative » (avec une surveillance directe plus stricte par l’ABE) ;
Le champ exact des exclusions (crypto-actifs uniques non fongibles, c’est-à-dire les NFT, ou crypto-actifs limités à un réseau fermé) ;
Les questions relatives à la durabilité (impact énergétique du Proof of Work) et l’obligation de publier des informations sur l’empreinte carbone ;
La proportionnalité des exigences imposées aux PME et startups spécialisées dans la technologie blockchain.
Le Parlement européen a validé le texte final au premier semestre 2023, suivi par le Conseil de l’UE, aboutissant à la publication finale au Journal officiel de l’UE en juin 2023.
5.3. L’intervention des autorités européennes de surveillance (AES)
L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF / ESMA) et l’Autorité bancaire européenne (ABE / EBA) ont été associées tout au long du processus.
MiCA renforce leur rôle, en particulier pour l’ABE, qui est chargée de surveiller directement les émetteurs de stablecoins « d’importance significative » (en lien avec les banques centrales concernées) et de veiller à la bonne application des règles prudentielles.
Ainsi, MiCA prévoit des collèges de supervision composés de l’ABE, des autorités nationales compétentes, de la BCE (et potentiellement d’autres banques centrales nationales), avec un dispositif de consultation mutuelle en cas d’octroi ou de retrait d’agrément.
§6. Principaux objectifs poursuivis par MiCA
6.1. Assurer une protection élevée des consommateurs et la transparence
Pour les émetteurs de crypto-actifs (autres que les stablecoins) :
Obligation de rédiger un livre blanc détaillant le projet, les risques, les droits et obligations associés aux jetons, la technologie sous-jacente, etc.
Possibilité pour l’autorité compétente de suspendre ou d’interdire une offre au public si les exigences ne sont pas respectées (ex. si le document est trompeur ou incomplet).
Pour les jetons se référant à un ou des actifs et les jetons de monnaie électronique :
Des exigences supplémentaires, telles que la mise en place d’une réserve d’actifs, des droits de remboursement, l’interdiction d’offrir des intérêts aux détenteurs selon la durée de détention, etc.
Un régime plus strict si ces stablecoins atteignent ou risquent d’atteindre un usage systémique (définition chiffrée dans MiCA).
6.2. Instaurer une supervision robuste et réduire les risques systémiques
MiCA prévoit la collaboration entre :
Les autorités nationales (qui délivrent les agréments aux prestataires de services et émetteurs non systémique) ;
L’ABE, compétente pour les jetons se référant à un ou des actifs d’importance significative et pour les jetons de monnaie électronique d’importance significative,
L’AEMF, qui joue un rôle essentiel dans l’encadrement des abus de marché et dans l’évaluation des cas limites (pour déterminer si un jeton relève ou non d’autres régimes sectoriels, par exemple MiFID II).
De plus, la Banque centrale européenne (BCE) ou la banque centrale nationale concernée doit être consultée en cas de menace sur la politique monétaire ou le bon fonctionnement des systèmes de paiement.
6.3. Offrir un passeport européen pour les prestataires de services sur crypto-actifs
Les prestataires de services (échange de crypto contre fiat ou crypto, exploitation de plateformes de négociation, placement de crypto-actifs, conservation, etc.) devront obtenir un agrément auprès de l’autorité compétente de leur État membre d’origine, selon les modalités définies dans MiCA.
Cet agrément sera passeportable dans toute l’UE, permettant ainsi aux entreprises de s’implanter aisément sur le marché intérieur, tout en renforçant la confiance des utilisateurs grâce à un socle minimal d’exigences prudentielles et organisationnelles (fonds propres, politiques de gestion des risques, dispositifs de sécurité, etc.).
6.4. Lutter contre les abus de marché et la manipulation des cours
MiCA reprend une logique semblable au règlement (UE) no 596/2014 (MAR) pour les instruments financiers, en l’adaptant au marché des crypto-actifs :
Interdiction de l’opération d’initié (insider dealing) et de la divulgation illicite d’informations privilégiées ;
Interdiction de la manipulation de marché (fausses informations, wash trading, pump and dump, etc.), y compris sur les plateformes crypto.
Les prestataires de services sur crypto-actifs devront mettre en place des systèmes de détection pour repérer les abus potentiels et devront signaler les transactions suspectes aux autorités.
§7. Les défis techniques et politiques lors de l’élaboration de MiCA
7.1. L’intégration des mesures environnementales
Une question épineuse a concerné l’impact environnemental de certains mécanismes de consensus (proof of work, notamment celui de Bitcoin). Des députés européens ont soutenu l’idée d’interdire le minage énergivore ou d’imposer un « ban » sur Bitcoin en Europe, ce qui a finalement été écarté. MiCA impose cependant que les émetteurs (et dans certains cas, les prestataires de services) publient des informations sur les incidences négatives sur le climat ou l’environnement, assurant ainsi une certaine transparence.
7.2. La frontière entre crypto-actifs et NFTs
Les NFT (non-fungible tokens), représentant des objets numériques uniques (œuvres d’art, objets de collection, etc.), ont suscité des débats : sont-ils couverts par MiCA ? Finalement, MiCA exclut les crypto-actifs uniques et non fongibles, considérant que leur fongibilité limitée restreint les risques financiers. Toutefois, si un NFT est émis « en grande série » et présente des caractéristiques de fongibilité, il pourra être requalifié en crypto-actif soumis à MiCA.
7.3. Les considérations sur le blanchiment de capitaux et la protection des données
MiCA intègre la nécessité pour les prestataires de services sur crypto-actifs de se conformer aux règles européennes contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Les débats ont été vifs sur la question de la « travel rule » imposant la transmission d’informations relatives à l’expéditeur et au bénéficiaire pour tout transfert de crypto-actifs.
En outre, le règlement (UE) 2016/679 (RGPD) impose des principes stricts de protection des données, ce qui pose parfois des questions lorsque la technologie blockchain, par essence, rend certaines données (transactions) immuables. MiCA souligne donc qu’aucune disposition ne doit porter atteinte au RGPD, et que les données à caractère personnel ne doivent pas être publiées sur la blockchain si cela viole le principe de minimisation des données.
7.4. La question des prêts et emprunts en crypto-actifs
MiCA ne traite pas directement des services de prêt ou d’emprunt de crypto-actifs (lending/borrowing), qui se sont pourtant développés, notamment via les protocoles de finance décentralisée (DeFi). L’article 94(4) du règlement mentionne que la Commission devra évaluer la nécessité d’un cadre plus large, notamment pour la DeFi.
La mise en place d’un régime spécifique pour la DeFi ou le crypto-lending pourrait être envisagée ultérieurement via des actes délégués ou un futur règlement.
§8. Les liens entre MiCA et d’autres initiatives européennes en matière de finance numérique
8.1. Le « Digital Finance Package »
MiCA s’inscrit dans un ensemble plus vaste de mesures présentées par la Commission en septembre 2020 :
Proposition de règlement sur la résilience opérationnelle numérique (DORA) ;
Stratégie sur les paiements de détail ;
Stratégie européenne pour la finance numérique, favorisant l’innovation et l’usage des nouvelles technologies (dont l’IA et la blockchain).
L’objectif est d’établir un marché unique numérique dans le secteur financier, garantissant une concurrence loyale et la protection des utilisateurs.
8.2. Le pilote DLT pour les infrastructures de marché
En parallèle, un autre règlement intitulé « régime pilote DLT » (Regulation (EU) 2022/858) est venu autoriser, à titre expérimental, l’utilisation de la technologie des registres distribués (DLT) pour la négociation et le règlement d’instruments financiers tokenisés.
Alors que MiCA se concentre principalement sur les crypto-actifs qui ne sont pas considérés comme des instruments financiers (ou qui ne relèvent pas des directives sectorielles), le régime pilote DLT vise à adapter temporairement certaines règles de MiFID II, du règlement CSDR, etc., afin de permettre aux bourses et dépositaires centraux de tester la blockchain sur les marchés traditionnels.
8.3. La future législation sur la lutte anti-blanchiment spécifique aux crypto-actifs
La Commission européenne a également présenté un paquet législatif AML/CTF en juillet 2021, prévoyant la création d’une Autorité européenne de lutte contre le blanchiment (AMLA) et l’extension de l’obligation de vérification d’identité à toutes les transactions en crypto-actifs (y compris sur les portefeuilles non-hébergés, sous réserve d’exceptions).
Ce paquet se coordonne avec MiCA pour s’assurer que la fourniture de services crypto au sein de l’UE respecte les standards AML/CFT.
§9. La finalisation et l’adoption officielle de MiCA
9.1. Les étapes avant l’entrée en vigueur
Après avoir été adopté par le Parlement européen et le Conseil, le règlement MiCA a été publié au Journal officiel de l’UE (JOUE) le 9 juin 2023. Comme la plupart des règlements européens, MiCA est directement applicable dans tous les États membres, sans transposition nationale.
Toutefois, pour laisser le temps aux acteurs de s’adapter, MiCA prévoit un délai d’application différée (généralement entre 12 et 18 mois) à compter de la publication officielle. Cela signifie qu’une grande partie des dispositions s’appliqueront effectivement à la mi-2024 ou fin 2024.
9.2. Les dispositions transitoires
Le règlement prévoit également plusieurs dispositions transitoires :
Les émetteurs de crypto-actifs déjà existants avant l’application effective de MiCA pourront continuer leurs activités, sous réserve de respecter certaines obligations minimales (par exemple, informer les détenteurs).
Les prestataires de services sur crypto-actifs qui bénéficiaient d’un enregistrement ou agrément national existant pourront opérer temporairement en attendant la délivrance de l’agrément MiCA, ou être soumis à un régime transitoire suivant la décision de l’État membre.
9.3. Les actes délégués et normes techniques
MiCA délègue à la Commission et aux autorités européennes de surveillance (notamment l’ABE et l’AEMF) le soin d’élaborer de nombreux actes délégués, normes techniques de réglementation (RTS) et normes techniques d’exécution (ITS) précisant :
Les exigences plus détaillées sur le contenu du livre blanc ;
Les modalités de calcul et de contrôle des réserves d’actifs pour les stablecoins ;
Les procédures d’octroi d’agrément, de retrait, etc. ;
Les procédures de partage d’informations en matière d’abus de marché, etc.
Ces éléments réglementaires et techniques s’étendront sur plusieurs mois et seront cruciaux pour que MiCA soit opérationnel et correctement harmonisé à travers toute l’Union.
§10. Vers une nouvelle ère de réglementation européenne des crypto-actifs ?
Le règlement MiCA constitue une réponse globale et ambitieuse à l’essor rapide des crypto-actifs. Fruit de plusieurs années de discussions, de négociations politiques et d’expertises techniques, il offre un cadre juridique unique visant à concilier sécurité juridique, protection des consommateurs, intégrité du marché et promotion de l’innovation dans l’écosystème crypto.
D’un point de vue historique, MiCA apparaît comme l’aboutissement logique de la prise de conscience européenne face aux nouveaux risques et opportunités liés à la blockchain et aux actifs numériques.
D’un point de vue juridique, il comble les vides laissés par la réglementation existante, clarifie la qualification des crypto-actifs et impose un ensemble de règles prudentielles et de gouvernance aux émetteurs et prestataires de services.
D’un point de vue économique et politique, MiCA répond à la nécessité de protéger le marché intérieur, de prévenir les abus de marché, de limiter les risques systémiques liés aux stablecoins et de renforcer le rôle de l’UE comme place majeure dans le secteur numérique.
Toutefois, certains chantiers sont encore devant nous : la question de la finance décentralisée (DeFi), des NFT de masse, du prêt/emprunt de crypto-actifs, ou encore le futur cadre AML/CTF dédié aux transferts de crypto-actifs feront l’objet de développements législatifs ultérieurs.
La deuxième partie de cette étude sera consacrée à l’analyse détaillée de chaque article du règlement MiCA, afin d’illustrer précisément comment ces nouvelles règles s’appliqueront dans la pratique. Nous examinerons notamment :
Les catégories de crypto-actifs visées par le règlement ;
Les exigences spécifiques pour les jetons se référant à un ou des actifs et les jetons de monnaie électronique ;
Les conditions d’agrément et obligations organisationnelles des prestataires de services sur crypto-actifs ;
Les dispositions relatives aux abus de marché, à la surveillance et aux sanctions ;
Les rôles respectifs de l’ABE, de l’AEMF et des autorités nationales.
En somme, MiCA est appelé à devenir la pierre angulaire de la régulation européenne des crypto-actifs, ouvrant une nouvelle ère dans laquelle innovation et protection des investisseurs s’efforceront de coexister dans un cadre juridique stable et prévisible.
Dans la seconde partie de cet article de blog, nous aborderons point par point les dispositions du règlement MiCA, avec un examen critique de chaque titre et des implications pratiques pour les acteurs du marché des crypto-actifs en Europe.
Seconde Partie : Les innovations du Règlement MiCA
§1. Introduction générale
Le Règlement MiCA (Market in Crypto-Assets Regulation) a pour ambition de créer un cadre législatif unifié pour l’émission, l’offre au public, la négociation et la prestation de services relatifs aux crypto-actifs à l’échelle de l’Union européenne. Dans la première partie de notre étude, nous avons abordé le contexte historique et réglementaire qui a conduit les institutions européennes à proposer ce texte législatif, ainsi que les principaux enjeux macroéconomiques, politiques et technologiques associés à la régulation des crypto-actifs.
Dans cette seconde partie, nous allons analyser les innovations majeures introduites par MiCA, en nous appuyant sur les articles 1 et suivants du texte officiel (tels qu’ils apparaissent dans la version adoptée du règlement). L’objectif est de rendre compte des spécificités et des avancées de MiCA, article par article, tout en soulignant les aspects particulièrement novateurs pour l’industrie de la blockchain et pour les acteurs financiers traditionnels.
§2. Champ d’application (Article 1)
2.1. Objectifs et portée
L’Article 1 du Règlement MiCA définit clairement le champ d’application du texte, en précisant qu’il vise à encadrer les émetteurs de crypto-actifs ainsi que les prestataires de services associés (souvent désignés comme CASP : Crypto-Assets Service Providers). Les principaux objectifs affichés par le législateur sont :
Offrir un cadre de confiance : en garantissant des standards de transparence et de responsabilité aux émetteurs.
Protéger les consommateurs et investisseurs : en introduisant des obligations d’information et des mécanismes de surveillance.
Prévenir les risques systémiques : en imposant des exigences prudentielles, notamment pour les jetons ayant un fort impact sur la stabilité financière.
La portée de MiCA se veut exhaustive : toute personne physique ou morale émettant des crypto-actifs ou fournissant des services sur ces crypto-actifs dans l’Union européenne est potentiellement concernée, sauf exceptions prévues pour certains types de jetons ou de services étroitement encadrés par d’autres textes (tels que la législation existante sur la monnaie électronique ou sur les services de paiement).
2.2. Justifications réglementaires
L’émergence d’un écosystème basé sur la blockchain, l’explosion du volume des transactions en crypto-actifs et la multiplication des projets de stablecoins (actifs à vocation de stabilité) ont fortement interpellé les régulateurs. L’article 1 de MiCA met en avant la nécessité d’une intervention législative pour :
Harmoniser les règles et éviter le morcellement juridique au sein de l’UE.
Favoriser l’innovation tout en protégeant l’intérêt général, la stabilité financière et l’ordre public.
Assurer une concurrence loyale entre les acteurs traditionnels et les nouveaux entrants.
§3. Définitions clés et terminologie (Articles 2 à 3)
3.1. Actifs numériques, crypto-actifs et jetons
Les Articles 2 et 3 introduisent un vocabulaire technique en définissant les principaux concepts sur lesquels repose le règlement. Parmi les termes clés :
Crypto-actifs : toute représentation numérique d’une valeur ou d’un droit, pouvant être transférée et stockée électroniquement, basée sur une technologie de registre distribué ou similaire.
Jetons adossés à des actifs (asset-referenced tokens) : ils visent à maintenir une valeur stable en étant adossés à un panier d’actifs (monnaies, matières premières, etc.).
Jetons de monnaie électronique (e-money tokens) : ils représentent une valeur monétaire spécifique et sont assimilables, dans une certaine mesure, à de la monnaie électronique au sens de la directive européenne correspondante.
Cette section est cruciale car elle clarifie la distinction entre différents types de jetons, ouvrant la voie à des régimes juridiques variés et spécifiques.
3.2. Rôles des acteurs : émetteurs, CASP, utilisateurs
Le Règlement MiCA introduit ou reprend des définitions relatives aux émetteurs (les entités responsables de la création de jetons), aux prestataires de services (qui proposent des services de garde, d’échange, de conseil, etc.) et aux utilisateurs finaux. Les articles 2 et 3 explicitent aussi les notions de bourses de crypto-actifs, d’opérateurs de plateformes de négociation, de dépositaires de crypto-actifs, etc. Cette cartographie d’acteurs est fondamentale pour comprendre quelles obligations s’appliquent à chacun.
§4. Catégories de crypto-actifs visées par MiCA (Articles 4 à 10)
4.1. Jetons adossés à des actifs (stablecoins)
Les Articles 4 à 6 traitent spécifiquement des jetons adossés à des actifs, souvent appelés “stablecoins”. Ceux-ci sont vus comme présentant un risque systémique plus élevé, dans la mesure où leur valorisation repose sur des actifs de référence (paniers de monnaies, instruments financiers, etc.). MiCA insiste sur :
La nécessité de garanties (réserves en actifs liquides et sûrs).
L’obligation de transparence sur la composition et la gestion de ces réserves.
La mise en place d’un mécanisme de surveillance renforcée par les autorités compétentes.
4.2. Jetons de monnaie électronique (e-money tokens)
Les Articles 7 et 8 portent sur les jetons de monnaie électronique, proches des stablecoins mais adossés à une seule monnaie fiduciaire (par exemple l’euro). Le règlement les assimile, pour certains aspects, à la catégorie de la monnaie électronique, obligeant ainsi les émetteurs à se conformer à la directive sur la monnaie électronique (2009/110/CE). Parmi les obligations spécifiques :
Détenir une autorisation en tant qu’établissement de monnaie électronique.
Respecter les exigences de fonds propres et de protection des consommateurs applicables aux institutions de monnaie électronique.
4.3. Jetons utilitaires (utility tokens)
Les Articles 9 et 10 introduisent les jetons utilitaires, qui confèrent à leur détenteur un droit d’accès à un produit ou service sur une plateforme blockchain. MiCA reconnaît leur statut distinct d’instruments financiers, à condition qu’ils ne confèrent pas de droits similaires à des actions ou obligations. Les principaux enjeux sont :
Un cadre de transparence : le “livre blanc” (white paper) doit détailler la finalité, le fonctionnement technique et la gouvernance du projet.
Une responsabilité de l’émetteur : notamment en cas de dysfonctionnement du réseau, de non-livraison du service ou de fraude.
4.4. Jetons d’investissement et jetons hybrides
Même si MiCA vise principalement les crypto-actifs qui ne relèvent pas de la réglementation traditionnelle des marchés financiers (MiFID II), il existe une zone grise pour les jetons hybrides, mêlant caractéristiques d’instruments financiers et de jetons utilitaires. Dans ces cas, l’Article 10 renvoie à l’application potentielle d’autres textes en vigueur, soulignant la volonté du législateur de ne pas doubler la régulation existante.
§5. Autorisation et agrément des émetteurs (Articles 11 à 19)
5.1. Exigences préalables à l’émission
Les Articles 11 à 14 définissent les conditions à remplir avant l’émission de crypto-actifs, notamment :
La publication d’un livre blanc contenant des informations détaillées sur l’entreprise, le projet, la technologie sous-jacente, les risques, la gouvernance, etc.
L’obligation de déposer une demande d’agrément auprès de l’autorité compétente (souvent l’autorité nationale de marché financier) lorsqu’il s’agit de jetons adossés à des actifs ou de jetons de monnaie électronique.
La démonstration de la solidité financière de l’émetteur, via des garanties en capital ou des polices d’assurance spécifiques.
5.2. Garantie et réserves financières
Pour les jetons adossés à des actifs et les jetons de monnaie électronique, les Articles 15 à 16 imposent la constitution de réserves ou de collatéraux fiables, afin de couvrir la valeur des jetons émis et de protéger les détenteurs en cas de retrait massif. Le règlement précise :
Les critères de liquidité et de diversification des actifs de réserve.
Les modalités de vérification et d’audit de ces réserves par un tiers indépendant.
Les pénalités en cas de manquement (sous-couverture, absence de transparence, etc.).
5.3. Gouvernance et conformité
Les Articles 17 à 19 insistent sur l’importance d’une gouvernance solide, incluant :
La mise en place d’une direction compétente et honnête.
L’existence de procédures internes de contrôle et de gestion des risques.
La nomination d’un responsable conformité (Compliance officer), chargé de veiller au respect de MiCA et des autres dispositions légales (règles anti-blanchiment, etc.).
§6. Obligations de transparence (Articles 20 à 28)
6.1. Livre blanc sur les crypto-actifs
Le livre blanc est l’élément central de la transparence exigée par MiCA. Les Articles 20 à 22 en décrivent le contenu minimal :
Description technique du protocole, du modèle économique et de la gouvernance.
Informations financières : plan de financement, utilisation des fonds, projections.
Risques clés : instabilité de la valeur, failles de sécurité, risques juridiques.
Cette exigence de livre blanc s’inspire en partie des prospectus obligatoires pour les émissions de valeurs mobilières, mais en l’adaptant aux spécificités des technologies de registre distribué.
6.2. Informations pré-contractuelles
Les Articles 23 à 25 imposent aux émetteurs d’informer clairement et de manière non trompeuse les acheteurs potentiels sur :
Les droits et obligations attachés aux jetons.
Les mesures de protection des utilisateurs, notamment en cas de piratage ou de faillite.
Les frais associés à la souscription ou au transfert de jetons, le cas échéant.
MiCA met l’accent sur la clarté et la lisibilité de ces informations, afin d’éviter les pratiques commerciales trompeuses qui ont souvent entaché le secteur des ICO.
6.3. Responsabilité et sanctions en cas d’omission
En cas d’omission ou de fausse déclaration dans le livre blanc ou les documents pré-contractuels, les Articles 26 à 28 prévoient :
Une responsabilité civile de l’émetteur, pouvant ouvrir droit à des indemnisations pour les investisseurs lésés.
Des sanctions administratives (amendes, interdiction temporaire d’émettre des jetons, etc.) prononcées par les autorités de supervision.
Ce régime de responsabilité renforce la crédibilité des informations fournies et constitue un levier pour assainir le marché des ICO.
§7. Obligations pour les prestataires de services sur crypto-actifs – CASP (Articles 29 à 42)
7.1. Conditions d’agrément et de supervision
Les Articles 29 à 33 instituent un régime d’agrément pour les prestataires de services sur crypto-actifs (Crypto-Assets Service Providers ou CASP). Les services couverts par ce régime incluent notamment :
La garde et l’administration de crypto-actifs pour compte de tiers.
L’exploitation de plateformes de négociation.
L’échange de crypto-actifs contre des fiat ou d’autres crypto-actifs.
Le conseil, la gestion de portefeuille, etc.
Pour exercer légalement, un CASP doit :
Obtenir un agrément délivré par l’autorité compétente de l’État membre de référence.
Satisfaire à des exigences en capital, variables selon l’ampleur de l’activité et les risques encourus.
Se soumettre à des audits réguliers et à un contrôle permanent de la conformité.
7.2. Règles de conduite et bonnes pratiques
Les Articles 34 à 37 imposent des règles de conduite visant à protéger les clients et à assurer la bonne intégrité des marchés :
Seuils de capital et assurances contre les risques opérationnels (ex : cyberattaques).
Politiques de gestion des conflits d’intérêts pour éviter tout abus de position dominante.
Devoir de conseil et d’information, s’inspirant largement des standards en vigueur dans la finance traditionnelle (MiFID II).
7.3. Séparation des actifs et protection des investisseurs
Les Articles 38 à 42 requièrent une séparation entre les actifs des clients et ceux du CASP, afin de :
Éviter les conflits d’intérêts et les détournements de fonds.
Protéger les investisseurs en cas de faillite ou d’insolvabilité du prestataire.
Faciliter la restitution des actifs en cas de mise en liquidation.
Cette mesure est perçue comme un avantage majeur pour renforcer la confiance dans l’écosystème crypto, souvent entaché par des scandales de plateformes d’échange.
§8. Régime prudentiel et exigences en fonds propres (Articles 43 à 49)
8.1. Encadrement du risque systémique
Les Articles 43 et 44 introduisent des dispositions inspirées de la régulation bancaire, visant à prévenir les risques systémiques. Dans le cas des jetons adossés à des actifs importants (dont la valeur totale en circulation pourrait affecter la stabilité des marchés), les autorités peuvent :
Imposer des exigences de capital plus élevées.
Restreindre certaines activités si elles sont jugées trop risquées (par ex. un fort levier sur des produits dérivés adossés à des jetons).
8.2. Fonds propres requis et méthodes de calcul
Les Articles 45 à 47 précisent les méthodes de calcul des fonds propres pour les émetteurs et les CASP, prenant en compte :
Le volume des actifs sous gestion.
Les risques de contrepartie et de marché.
Les risques opérationnels (failles techniques, cyberattaques, etc.).
Le texte vise à adapter la logique des ratios prudentiels (similaires à ceux de la CRD/CRR pour les banques) à l’univers des crypto-actifs, tout en évitant de freiner l’innovation par des exigences disproportionnées.
8.3. Politiques de gestion des risques
En sus des obligations de fonds propres, les Articles 48 et 49 exigent des émetteurs et des CASP l’élaboration de politiques de gestion des risques :
Identification et suivi des risques opérationnels, technologiques, de marché et de liquidité.
Mise en place de plans de continuité (continuité d’activité, reprise après sinistre, etc.).
Évaluation périodique de la robustesse du modèle d’affaires face à différents scénarios de stress.
§9. Surveillance et rôle des autorités compétentes (Articles 50 à 60)
9.1. Coordination européenne (ESMA, EBA)
Les Articles 50 et 51 soulignent la compétence partagée entre :
Les autorités nationales (Autorités des marchés financiers, Banques centrales nationales) qui supervisent les émetteurs et CASP sur leur territoire.
Les agences européennes telles que l’ESMA (European Securities and Markets Authority) et l’EBA (European Banking Authority), chargées de coordonner et d’établir des lignes directrices communes.
Cette coordination vise à garantir une application cohérente de MiCA dans l’ensemble de l’UE, et à limiter les arbitrages réglementaires entre États membres.
9.2. Pouvoirs de sanction, contrôles et enquêtes
Les Articles 52 à 58 confèrent aux autorités compétentes :
La capacité d’effectuer des inspections inopinées.
Le pouvoir de demander des informations et d’ordonner la production de documents.
La possibilité d’imposer des sanctions administratives (amendes, suspensions, retraits d’agrément) en cas de violation de MiCA.
Le texte renforce également la coopération transfrontalière, permettant aux autorités de réaliser des enquêtes conjointes et d’échanger des données pour lutter contre la fraude et le blanchiment.
9.3. Coopération transfrontalière
Les Articles 59 et 60 précisent les modalités de coopération et d’échange d’informations entre les États membres, afin de :
Faciliter le suivi des émetteurs et CASP exerçant dans plusieurs pays.
Éviter la double imposition de sanctions pour les mêmes faits.
Fluidifier la mutualisation des expertises techniques et juridiques.
§10. Protection des investisseurs et des consommateurs (Articles 61 à 68)
10.1. Mécanismes de plainte et de recours
Les Articles 61 à 63 introduisent des procédures claires pour les détenteurs de crypto-actifs souhaitant déposer une plainte ou faire valoir leurs droits en cas de litige. Les émetteurs et CASP doivent :
Mettre à disposition un service client ou un interlocuteur dédié.
Respecter des délais de traitement et de réponse.
Faciliter, le cas échéant, le recours à des médiateurs ou organismes de résolution extrajudiciaire des litiges.
10.2. Transparence tarifaire et d’information
MiCA renforce également les exigences d’information sur les tarifs, les commissions et les risques liés à l’utilisation des services crypto. Les Articles 64 à 66 imposent notamment :
Une communication claire des frais de transaction, de garde et de retrait.
L’obligation de fournir des supports pédagogiques (guides, FAQ, etc.) pour expliquer les risques aux investisseurs non avertis.
10.3. Mécanismes d’indemnisation
Afin de protéger les utilisateurs en cas de défaut du prestataire, les Articles 67 et 68 invitent les États membres à mettre en place, ou à encourager, des dispositifs d’indemnisation inspirés de ceux existant sur les marchés financiers traditionnels. Cependant, le texte reste prudent quant à la faisabilité d’un fonds de garantie européen unique, compte tenu de la variété des actifs et de la rapidité d’évolution du secteur.
§11. Traitement des abus de marché et dispositions anti-blanchiment (Articles 69 à 75)
11.1. Lutte contre la manipulation de marché
Les Articles 69 à 71 étendent les dispositions existantes en matière d’abus de marché (régies notamment par le règlement MAR – Market Abuse Regulation) à certains crypto-actifs relevant du périmètre de MiCA. Les pratiques suivantes sont notamment visées :
Les manipulations de cours (wash trading, spoofing, layering, etc.).
Les opérations d’initiés, s’il s’avère que les jetons confèrent des droits similaires à des instruments financiers.
11.2. Régime de déclaration et de contrôle
Pour lutter contre les activités illicites, les Articles 72 à 74 prévoient :
Un registre des opérations suspectes et des déclarations d’abus de marché à destination des autorités.
Des obligations renforcées pour les CASP en matière de détection et de signalement d’opérations à risque.
Le texte met l’accent sur la collaboration entre autorités nationales et européennes, ainsi qu’avec des organismes internationaux (comme le GAFI).
11.3. Mesures de conformité AML/CFT
Bien que MiCA ne soit pas le principal texte encadrant la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (AML/CFT), les Articles 75 renvoient explicitement aux obligations de la Directive (UE) 2015/849 (AMLD). Les CASP et émetteurs devront :
Mettre en place des protocoles KYC (Know Your Customer) et des dispositifs de surveillance des transactions.
Rapporter les transactions suspectes aux cellules de renseignement financier.
§12. Infrastructures de marché et innovation technologique (Articles 76 à 85)
12.1. Cadre d’expérimentation et bacs à sable réglementaires
Pour encourager l’innovation, MiCA reconnaît, dans les Articles 76 et 77, la possibilité pour les régulateurs nationaux de mettre en place des bacs à sable (ou sandbox) permettant :
Aux startups et entreprises innovantes de tester leurs solutions crypto/blockchain dans un environnement limité et supervisé.
À l’autorité de collecter des retours sur les aspects réglementaires à améliorer ou à clarifier.
Cette approche flexible vise à favoriser l’émergence de nouveaux cas d’usage dans un cadre sécurisé et à éviter la délocalisation de projets hors de l’UE.
12.2. Intégration de la technologie blockchain
Les Articles 78 à 81 encouragent l’exploration de la technologie de registre distribué (DLT) dans les infrastructures de marché (bourses, chambres de compensation, dépositaires centraux). MiCA s’inscrit en complément du règlement européen pilote sur les DLT (Pilot Regime), offrant la possibilité à certaines plateformes de négocier et de régler des titres financiers tokenisés sous un régime dérogatoire.
12.3. Interopérabilité et standards techniques
Les Articles 82 à 85 invitent l’ESMA et la Commission européenne à promouvoir des standards techniques facilitant l’interopérabilité entre différentes blockchains et services. L’objectif est de :
Réduire les barrières techniques à la circulation des crypto-actifs.
Uniformiser la manière de présenter les informations dans les livres blancs et les rapports périodiques.
Stimuler l’efficience et la compétitivité de l’UE sur la scène mondiale.
§13. Dispositions transitoires et étapes d’entrée en vigueur (Articles 86 à 90)
13.1. Calendrier d’application
Les Articles 86 et 87 fixent un calendrier progressif :
Dès la publication du règlement au Journal officiel de l’UE, un délai (souvent de 18 mois) est prévu pour permettre aux acteurs existants de se mettre en conformité.
Certaines dispositions relatives aux stablecoins systémiques entrent en vigueur plus rapidement, compte tenu du risque associé à ce type d’actifs.
13.2. Mesures d’accompagnement des acteurs existants
Les Articles 88 à 90 prévoient des mesures pour faciliter la transition des entités déjà en activité avant l’adoption de MiCA :
Reconnaissance des agréments antérieurs équivalents, sous réserve de vérifier la conformité aux exigences MiCA.
Accompagnement administratif et formations spécifiques.
Possibilité de demander des délais supplémentaires pour mettre à niveau certaines infrastructures techniques ou renforcer les fonds propres.
§14. Perspectives d’évolution et impact sur l’écosystème
Le Règlement MiCA se veut un point de départ pour la régulation des crypto-actifs au niveau européen. Plusieurs enjeux futurs méritent d’être soulignés :
Évolution technologique : l’émergence de nouvelles formes de crypto-actifs (NFT, DeFi, métavers) pourrait nécessiter des ajustements ou un nouveau texte complémentaire.
Coordination internationale : le cadre européen pourrait servir de référence pour les autres juridictions, mais nécessite une cohérence avec les normes du G20, du FMI, de la BRI, etc.
Refonte du système financier : à terme, MiCA pourrait contribuer à une tokenisation plus large des actifs (immobilier, matières premières, etc.) et conduire à une évolution de la finance traditionnelle.
Du point de vue des acteurs, la sécurisation juridique apportée par MiCA et la réduction des incertitudes réglementaires sont susceptibles de favoriser :
Une professionnalisation et une consolidation du secteur.
L’arrivée d’investisseurs institutionnels et de grandes banques, rassurés par un cadre harmonisé.
Le développement de nouveaux services (solutions de custody réglementées, plateformes de financement participatif, etc.).
Néanmoins, certains craignent une surréglementation pouvant nuire à l’agilité des startups et limiter l’innovation. Le succès de MiCA dépendra donc de l’équilibre entre la protection des investisseurs et la préservation de la compétitivité européenne.
15. Conclusion
Le Règlement MiCA (articles 1 et suivants) introduit un dispositif innovant et complet pour encadrer les crypto-actifs dans l’Union européenne. En couvrant tout le cycle de vie d’un token – de son émission à la prestation de services sur crypto-actifs –, il entend :
Harmoniser les règles nationales et assurer une sécurité juridique pour les acteurs.
Protéger davantage les consommateurs, grâce à des obligations de transparence, de gouvernance et de garantie.
Stimuler l’innovation en prévoyant des mécanismes d’expérimentation et en promouvant l’interopérabilité.
À travers cette seconde partie, nous avons mis en évidence les dimensions clés de MiCA : le traitement différencié des différents types de jetons (stablecoins, e-money tokens, utility tokens, etc.), les obligations prudentielles, la surveillance des autorités, la lutte contre la fraude et le blanchiment, et enfin les dispositions transitoires. L’ensemble de ces mesures doit permettre à l’UE de se positionner comme l’une des zones les plus progressistes et attrayantes en matière de réglementation des crypto-actifs.
Cependant, plusieurs défis restent à relever, notamment la mise en œuvre concrète du règlement dans chaque État membre et l’adaptation continue du cadre réglementaire face à l’évolution ultra-rapide du secteur. MiCA n’est donc pas un aboutissement définitif, mais bien un premier jalon dans la construction d’un marché unique numérique où la blockchain et les crypto-actifs pourront se développer de manière responsable et sécurisée.
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