En droit des sociétés, le concept d’affectio societatis constitue l’un des piliers fondamentaux, bien que souvent méconnu en dehors des cercles juridiques spécialisés. Ce principe, non expressément défini par la loi, a été forgé par la jurisprudence pour caractériser la volonté des associés de collaborer dans une entreprise commune. Cet article explore les contours de cette notion, ses implications juridiques et ses évolutions récentes.
1. Définition et origine de l'affectio societatis
Définition
L'affectio societatis est la volonté mutuelle et intentionnelle des associés de participer activement à la vie sociale, en contribuant aux résultats de l’entreprise dans un esprit de collaboration. Ce principe se distingue par deux aspects essentiels :
La volonté de collaborer : chaque associé s’engage à mettre en commun ses apports, qu’il s’agisse de capitaux, de biens ou de compétences.
La recherche d’un intérêt commun : les associés ne poursuivent pas seulement leur intérêt individuel mais visent un objectif collectif, celui de la société.
Origine jurisprudentielle
Ce concept a été développé par la jurisprudence française dès le XIXe siècle pour répondre aux ambiguïtés liées à la constitution des sociétés. Bien que non défini par le Code civil ou le Code de commerce, il reste un critère fondamental pour différencier un véritable contrat de société d’autres types de contrats ou de relations, comme celles existant dans une association ou une copropriété.
2. Les éléments constitutifs de l'affectio societatis
La jurisprudence exige que trois conditions essentielles soient réunies pour qu’il y ait affectio societatis :
A. L’intention de participer à une œuvre commune
Chaque associé doit être animé par le désir sincère de contribuer à un projet partagé. Une participation passive, purement financière, peut remettre en question l’existence de l’affectio societatis.
B. L’égalité entre associés dans les décisions
Le pouvoir de décision doit être partagé, même s’il peut être proportionnel à la participation au capital. Un associé dépourvu de tout droit de regard sur la gestion pourrait invoquer un défaut d’affectio societatis.
C. La recherche d’un bénéfice ou d’une économie
Cette finalité économique distingue la société des associations, dont l’objectif n’est pas lucratif.
3. L’affectio societatis dans la constitution de la société
Une condition sine qua non pour la validité du contrat de société
L’affectio societatis, bien qu’absent des textes législatifs, est considéré comme une condition essentielle de la constitution d’une société, aux côtés des apports, d’un objet licite et d’une finalité commune.
La jurisprudence rappelle régulièrement que l’absence d’affectio societatis entraîne la nullité du contrat de société (exemple : Cass. com., 3 juin 1986).
Illustrations pratiques
La création d’une société entre membres d’une même famille peut soulever des questions sur l’existence réelle de l’affectio societatis, si l’intention des parties est uniquement de protéger un patrimoine familial.
Les sociétés fictives, créées uniquement à des fins frauduleuses, sont dépourvues d’affectio societatis et peuvent être annulées.
4. L’évolution du concept : de la constitution à la dissolution des sociétés
En cours de vie sociale
L’affectio societatis ne s’arrête pas à la signature des statuts. Il doit perdurer tout au long de la vie de la société. Son absence peut être invoquée comme motif de dissolution de la société, notamment en cas de conflit grave entre associés.
Exemple pratique : le conflit entre associés
Un désaccord profond, notamment sur la gestion ou les orientations stratégiques, peut traduire une perte de l’affectio societatis. La jurisprudence reconnaît ainsi que des mésententes graves et durables peuvent entraîner la dissolution judiciaire de la société (Cass. com., 12 avr. 2005).
Dans les sociétés unipersonnelles
Bien que les sociétés unipersonnelles (EURL, SASU) ne reposent pas sur une pluralité d’associés, l’affectio societatis s’exprime ici à travers la volonté du dirigeant-associé unique de s’impliquer activement dans la gestion de la société.
5. L'affectio societatis et les relations contractuelles
Différenciation avec d’autres relations juridiques
L’affectio societatis est souvent utilisé pour distinguer une société d’autres relations juridiques :
Association : L’objectif d’une association n’est pas économique, mais généralement à but non lucratif.
Groupement d’intérêt économique (GIE) : Bien que le GIE repose sur une collaboration entre membres, il ne vise pas le partage de bénéfices.
Relations de travail : Un salarié, même très impliqué, ne peut être assimilé à un associé en raison de l’absence de partage de bénéfices et d’une égalité dans les décisions.
Les pactes d’associés
L’affectio societatis peut être renforcé ou protégé par des pactes d’associés, qui prévoient les modalités de gestion des relations entre associés, notamment en cas de mésentente.
6. La perte d’affectio societatis : conséquences et recours
Conséquences juridiques
La disparition de l’affectio societatis peut se manifester par :
Une rupture de communication entre associés.
Une gestion solitaire par un associé majoritaire.
Ces situations peuvent justifier une demande de dissolution judiciaire pour mésentente grave.
Moyens de preuve
La perte d’affectio societatis doit être prouvée par des faits précis, tels que :
L’exclusion d’un associé des décisions importantes.
Des manœuvres dilatoires ou conflictuelles.
La rupture prolongée des relations professionnelles entre associés.
Conclusion
L’affectio societatis, bien qu’implicite et non codifié, demeure une notion centrale en droit des sociétés. Il garantit la solidité des liens entre associés et permet de distinguer une véritable société d’autres relations juridiques. En cas de mésentente ou de doute sur l’existence de cette volonté commune, il est essentiel de s’appuyer sur des conseils juridiques avisés pour préserver l’équilibre ou engager les recours nécessaires.
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