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Rodolphe Rous

Entreprises en difficulté : le créancier peut-il faire saisir la résidence principale d’un débiteur en liquidation judiciaire ?




Lorsque la procédure collective frappe un débiteur, les règles d’arrêt des poursuites individuelles et d’interdiction des paiements se mettent en place, bouleversant les droits des créanciers.


Cependant, la jurisprudence récente émanant de la Cour de cassation rappelle que certains droits subsistent malgré ces barrières (Cass. com., 20 novembre 2024, n° 23-19.924, F-B).


Faisons le point sur une décision essentielle concernant la saisie d’un bien immobilier déclaré insaisissable.


Une sécurité hypothécaire remise en question ?

Les faits : Une société créancière d'un couple, sur la base d’un jugement devenu irrévocable, a délivré en 2021 un commandement aux fins de saisie-vente de leur résidence principale. Cette dernière faisait l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité, mais la société détenait une hypothèque conférant une sûreté réelle.

En 2022, le mari a été placé en liquidation judiciaire, ce qui a entraîné l’arrêt des poursuites individuelles selon les principes classiques des procédures collectives.

La cour d’appel de Bordeaux avait jugé que la vente forcée de l’immeuble devait être suspendue jusqu’à la clôture de la procédure de liquidation judiciaire. Selon les juges du fond, une telle vente était assimilée à une action tendant au paiement d’une créance, ce qui est interdit durant la procédure.

La position de la Cour de cassation

Une distinction importante : Dans son arrêt du 20 novembre 2024 (Cass. com., n° 23-19.924), la Cour de cassation opère une distinction essentielle. Elle juge que le créancier titulaire d’une sûreté réelle, auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable, peut procéder à la vente sur saisie.


Elle précise que cette action ne tend pas à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, interdite pendant la liquidation judiciaire. Il s’agit d’une opération distincte de la liquidation des actifs de la procédure collective.


Conséquences pratiques:


  1. Inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité : Lorsque la déclaration d’insaisissabilité d’un bien immobilier est inopposable au créancier, celui-ci conserve le droit de réaliser sa sûreté. La procédure collective n’annule pas ce droit.

  2. Émancipation des règles de la procédure collective : Les créanciers bénéficiant d’une sûreté réelle sur un bien déclaré insaisissable ne sont pas soumis aux restrictions classiques, comme l’arrêt des poursuites ou la nécessité d’une autorisation du juge-commissaire.

  3. Protection renforcée des créanciers : Cette solution clarifie et consolide les droits des créanciers hypothécaires, leur offrant une meilleure sécurité juridique.


L'arrêt s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence constante, la Cour ayant déjà affirmé que la saisie d’un immeuble inopposable à la déclaration d’insaisissabilité échappe à la discipline de la procédure collective (Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640).


Cette décision offre une bouffée d’air aux créanciers hypothécaires face aux débiteurs en liquidation judiciaire. Elle leur permet de valoriser leur sûreté immobilière sans subir les contraintes inhérentes à la procédure collective. Les débiteurs doivent ainsi être conscients des limites des protections offertes par une déclaration d’insaisissabilité.

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